« Les éclats », nouveau livre de Bret Easton Ellis : un vrai-faux thriller trippant
Bret Easton Ellis, Robert Laffont
Les Éclats
615 pages
Pour son retour aux affaires, Bret Easton Ellis revisite sa jeunesse dans un vrai-faux thriller paranoïaque. Trippant.
L’enfant terrible des lettres américaines est de retour. Bret Easton Ellis, pour rappel, c’est Moins que zéro en 1986 -il n’a alors que 22 ans-, récit du quotidien semé d’ennui et de torpeur d’une jeunesse californienne dorée sur tranche. C’est bien sûr aussi et surtout la déflagration American Psycho six ans plus tard, confession clinique d’un tueur de Wall Street sans mobile et allégorie cinglante du capitalisme carnivore.
Mais depuis 2010 et Suite(s) impériale(s), satire existentielle vénéneuse sur le milieu du cinéma, plus rien, sinon un pamphlet choc il y a quatre ans, White, à travers lequel le turbulent quinqua réglait ses comptes avec les progressistes qui ont viré woke, et plus largement avec une époque qui préfère l’invective au débat, le babillage stérile sur les réseaux sociaux au “small talk” raffiné. Ce qui ne manque pas de piquant de la part d’un utilisateur compulsif de Twitter, qu’il inonde régulièrement de commentaires assassins…
Alors qu’on le croyait perdu pour la cause, trop occupé à écrire, en vain apparemment, le scénario qui le consacrerait nouveau roi d’Hollywood, le voilà qui surgit de sa tanière de Beverly Hills pour nous offrir une nouvelle et volumineuse pépite, Les Éclats. Un petit air de déjà-lu puisque le sulfureux romancier revient sur les lieux de son premier crime littéraire, les beaux quartiers de Los Angeles servant à nouveau de décor paradisiaque à une relecture moite et paranoïaque des événements tragiques qui s’y seraient déroulés en 1981.
Crimes et châtiments
Simple récup? On aurait pu craindre le plat réchauffé, la ficelle éditoriale du vieux renard pour masquer le manque d’inspiration, mais les première pages balaient immédiatement ces doutes. Pour commencer, Ellis pousse encore plus loin que d’habitude la mise en abyme: Bret l’auteur se glisse ici dans la peau de Bret le narrateur pour raconter les tourments intérieurs de Bret ado, le vrai, au moment où celui-ci écrivait Moins que Zéro du haut de ses 17 ans, jusqu’à ce qu’un grain de sable fictif, transforme le trip autobiographique en flippant thriller métaphysique…
Entouré de Debbie, Susan ou Thom, amis fidèles, beaux, riches et livrés à eux-mêmes comme lui, Bret se prépare à endurer la dernière année dans son lycée privé. Un an encore à “cacher le vrai Bret”. C’est-à-dire celui qui préfère les hommes et qui aspire à humer un air moins superficiel, moins hétéro formaté. “J’étais un acteur et rien de tout cela n’était réel.” Un plan contrecarré par l’apparition d’une menace diffuse, “une certaine folie”, personnifiée par un nouveau venu, Robert Mallory, au passé trouble et au comportement étrange, vaguement effrayant. Ados sous coke, climat anxiogène, torpeur… le “prince des ténèbres” mixe toutes ses obsessions dans son shaker.
On est à mi-chemin de Scream de Wes Craven pour le portrait déjanté d’une jeunesse insouciante rattrapée par la violence endémique de l’Amérique, de Mulholland Drive de David Lynch (les parents de Bret habitent d’ailleurs le long de la célèbre artère) pour le voile de noirceur qui recouvre ce coin supposé tranquille de la ville, et du Zodiac de David Fincher pour la présence obsédante dans les parages d’un tueur en série, baptisé The Trawler (“le chalutier”), aux rituels fétichistes particulièrement sordides. La bande son omniprésente, où défilent Kim Wilde, Soft Cell ou Fleetwood Mac, teinte ces souvenirs d’un éclat mélancolique particulier. Comme si le plaisir sécrétait en même temps de la tristesse.
On excuserait presque les pages de cul entre mecs un peu trop nombreuses. Elles font partie du folklore ellisien, entre provoc, narcissisme et fascination pour une esthétique clinquante. Une manière sans doute aussi pour lui de laver le sentiment de honte qui a gâché en partie l’itinéraire de cet enfant gâté. Mais si l’on se place à un niveau plus méta, ce ballet sulfureux de corps parfaits installe une tension sexuelle qui agit comme l’huile sur le feu d’un scénario maléfique. Chez Ellis, le glamour est soluble dans l’horreur.
Comment arrive-t-il à ce degré d’intensité dramatique en polissant une langue neutre et dépourvue d’artifices? L’auteur de Zombies donne un indice par la bouche de son alter ego: “Je racontais des histoires et j’aimais enjoliver un incident banal (…). Ce n’étaient pas des mensonges exactement -simplement, je préférais la version exagérée.” Nous aussi…
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