L’écrivaine Nathacha Appanah a été récompensée par le prix Femina 2025 pour son roman «La nuit au cœur» (Gallimard). Elle succède ainsi à Miguel Bonnefoy et «Le rêve du jaguar»
Le prix Femina a été remis au musée Carnavalet-Histoire de Paris à la veille des prix Goncourt et Renaudot et deux jours avant le Médicis. Nathacha Appanah a été choisie à l’issue d’un second tour des votes.
Son jury exclusivement féminin, composé de douze membres, a préféré La nuit au cœur (Gallimard) aux quatre autres romans français qui figuraient dans sa dernière sélection: Au grand jamais (Gallimard) de Jakuta Alikavazovic, Un mal irréparable (Mialet-Barrault) de Lionel Duroy, Le monde est fatigué (Finitude) de Joseph Incardona, et La Maison vide (Minuit) de Laurent Mauvignier.
En 2024, le prix Femina avait été remis à l’écrivain franco-vénézuélien Miguel Bonnefoy, pour Le Rêve du jaguar.
Le jury a par ailleurs décerné le prix Femina du roman étranger à l’écrivain irlandais John Boyne pour Les éléments (Lattès), un ouvrage déjà salué par le prix du Roman Fnac 2025. Le prix Femina de l’essai a récompensé le journaliste et écrivain français Marc Weitzmann pour La part sauvage (Grasset), qui célèbre le romancier américain Philip Roth.
La Nuit au cœur
Récit de Nathacha Appanah. Editions Gallimard, 288 pages.
Focus Vif: 4/5
Mai 1998. Décembre 2000. Mai 2021. Soi-même. Une cousine. Une inconnue. «Une femme court pour échapper à son mari.» La même histoire, toujours, encore. Celle de la violence des hommes envers les femmes. Celle de leurs assassinats, et même de l’effacement des femmes, de leur annihilation. Partir de soi, pour toucher l’universel, Nathacha Appanah applique à la lettre la méthode romanesque pour transformer le fait divers en matière littéraire. La Nuit au cœur renferme des coupures de journaux, des témoignages, une visite de scène de crime. Mais surtout, le livre met en récit les parcours singuliers et pourtant si familiers pour l’autrice et d’innombrables autres femmes, frappées par «le châtiment terrible d’être tuée par la personne qui dit vous aimer».

A trois époques différentes, en trois lieux différents, des femmes fuient. Le calvaire de Chahinez Daoud, qui bouleverse l’opinion publique en mai 2021, renvoie Nathacha Appanah à sa propre fuite plus de 20 ans plus tôt. La terreur, l’horreur dépassent le langage: «Je voudrais écrire ce qui va suivre en ponçant la langue, les mots, l’orthographe, la grammaire, gratter, gratter jusqu’à buter sur l’os même de l’acte et qu’il existe sur cette page comme tel: un geste inqualifiable, innommable, sans langue, sans mots, sans orthographe, sans grammaire.» Pourtant l’autrice va affronter l’indicible pour convoquer les tueurs dans ce qu’elle nomme sa «pièce imaginaire», non pour tenter d’une quelconque façon de les «disculper», mais pour se réapproprier la maîtrise du récit, et tenter de réparer, même si c’est une gageure d’avoir «l’assurance que l’écriture, les livres, ce travail, cette obsession, que tout ça, ça sert à quelque chose».
Elle a survécu. Chahinez et Emma sont mortes. Face à l’impunité, à l’abandon de ces femmes qui avaient pourtant alerté sur le danger encouru, Nathacha Appanah, forte de sa langue au lyrisme contenu, dit les faits, explore les manquements. Quand la mort réduit les femmes assassinées à des êtres unidimensionnels, désignées à jamais comme victimes, elle va à rebours de la tentative d’annihilation, mobile ultérieur des meurtres, pour restaurer leurs identités plurielles, pour «comble[r] un trou», «crée[r] un lien».
A.E.