L’écrivain Richard Ford nous emmène dans un “american road trip” avec cynisme et humour

Richard Ford: "Je ne suis pas seulement ce petit garçon du Mississippi. Je suis un Américain. Je peux écrire sur tout ce que je veux en Amérique." © Patrice Normand/Leextra/ Éditions de L’Olivier
Philippe Manche Journaliste

Avec Le Paradis des fous, Richard Ford propose une balade jusqu’au mont Rushmore en compagnie de Frank Bascombe et de son fils Paul, atteint de la maladie de Charcot le temps d’un récit lumineux, émouvant, drôle et profondément humain.

Dix romans à son actif dont Le Paradis des fous, sorti en septembre dernier, qui clôt son cycle Frank Bascombe, -le deuxième volet, Indépendance, a été couronné par un Pulitzer en 1996- et Canada, prix Femina étranger en 2013. Mais aussi quatre recueils de nouvelles (Rock Springs, Rien à déclarer,…) et deux récits autobiographiques consacrés à ses parents, Ma mère et Entre eux. Telle est la bibliographie impeccable et irréprochable qui fait de Richard Ford l’un des derniers grands romanciers américains. Fin observateur d’une Amérique perdue, maniant le cynisme et l’humour avec une rare élégance, cet éternel jeune homme de 80 ans -vif et alerte à l’image d’une rencontre attachante et emballante au Festival America, à Vincennes près de Paris il y a quelques semaines- reste plus que jamais pertinent et inspiré.

La première image, comme ça au débotté, d’un de vos précédents séjours parisiens?

Je suis venu pour la première fois en 1986 avec mon ami Raymond Carver parce que nous avions une lecture publique dans une librairie anglophone, rue Princesse, à Saint-Germain. Et même si je ne l’ai pas fait, j’ai cette image d’avoir embrassé le tarmac d’Orly tellement j’étais heureux d’être à Paris avec mon meilleur ami.

Même si la mort est présente dans Le Paradis des fous, il est surtout question d’amour et de bonheur. Vous écrivez d’ailleurs dès la première page, je cite: « Ces temps-ci, je me suis mis à penser plus souvent qu’autrefois au bonheur »

Quand je m’assieds pour écrire la première phrase d’un livre, je sais que le jour est venu. Que c’est aujourd’hui que je vais écrire les premières phrases de mon roman. Mais après un an et demi de gestation, je ne m’attendais pas à écrire cela. Et puis je l’ai fait et je me suis dit: « Bon, d’accord, c’est là. Je vais en écrire une autre et encore une autre« . J’ai pensé que, peut-être, le bonheur pouvait faire sens avec tout ce que j’avais emmagasiné de manière totalement désorganisée et chaotique pendant dix-huit mois.

© Getty

C’est extrêmement tentant de dresser un parallèle entre Indépendance, écrit il y a 30 ans et Le Paradis des fous. Les deux romans sont des road trips effectués par Frank Bascombe et son fils Paul et se déroulent autour de la période des fêtes. Pourquoi?

Je pense toujours que si les Américains ont tous dans leur vie des souvenirs de la fête de l’Indépendance, de Pâques, de Thanksgiving ou de la Saint-Valentin, et que si je peux faire appel à ces souvenirs, ils seront d’accord avec moi pour que cet événement figure dans mon livre. Si vous pouvez rendre crédible le cadre temporel précis d’un livre, vous avez beaucoup à gagner. La plupart des romans ont un cadre temporel, c’est-à-dire le mois, le jour où l’action se déroule, ce qui n’est pas nécessairement important mais lorsque vous le placez pendant les vacances, cette petite exigence est aidée par les souvenirs du lecteur. Je veux dire par là qu’à un moment donné, il va au défilé du 4 juillet, se retrouve en famille pour Thanksgiving, va au restaurant en amoureux à la Saint-Valentin ou à l’église à Pâques.

Dans Indépendance, vous écrivez à propos de Paul, « qu’il est gaucher et donc menacé d’une mort prématurée » et nous voici en train de parler de ce roman où, trois décennies plus tard, le fils de Frank Bascombe, décède de la maladie de Charcot. Vous vous souvenez?

Vraiment? J’ai écrit çà? Les statistiques disent que si vous êtes gaucher, vous mourrez jeune. Quand j’ai écrit çà, je n’avais pas prévu d’écrire ce livre et quand je l’ai écrit, je n’ai pas repensé à Indépendance. Je suis gaucher et je suis bien placé pour savoir que ce n’est pas vrai parce que malheureusement, j’ai laissé ma jeunesse derrière moi.

Dans L’État des lieux, Frank Bascombe a un cancer. Cette fois-ci, son fils est confronté à la maladie. Qu’est-ce qui vous fascine, tourmente ou préoccupe avec la maladie?

Je ne veux pas me donner trop de crédit mais lorsque j’avais 20 ans et que j’étais dans le corps des Marines, je suis tombé gravement malade et on m’a dit que j’allais peut-être mourir. J’ai eu une hépatite mais je m’en suis remis et ça m’a peut-être rendu plus sensible à la maladie. Mais je pense que ce que je fais, c’est donner à mes personnages une sorte d’obstacle, quelque chose à surmonter, vaincre ou dépasser.

Et cette passion pour les longs trajets en voiture qui jalonnent votre bibliographie?

Le road trip vous permet de vous concentrer sur deux personnes dans un petit espace, ce qui accentue la dramaturgie et les interactions entre eux. C’est une convention dans la littérature que quelque chose va changer entre le début et la fin d’un voyage quel qu’il soit. Et après des conversations autour de la mort ou de choses plus personnelles et intimes, je peux décrire le paysage qui défile, les éoliennes…

Est-ce qu’avoir sillonné l’Amérique de long en large comme vous l’avez fait a affecté votre écriture et la vision de votre pays?

Absolument. J’ai grandi et été élevé à Jackson, un endroit très religieux, étroit d’esprit et peu attrayant du Mississippi. La plupart des gens qui y sont nés, comme mes camarades de lycée, sont restés parce qu’ils pensaient que c’est là qu’ils étaient chez eux. Je n’ai jamais vraiment ressenti ce sentiment d’appartenance. Le fait de voyager dans toute l’Amérique et d’essayer d’écrire sur elle m’a fait sentir que ce pays m’appartenait. Je ne suis pas seulement ce petit garçon du Mississippi. Je suis un Américain. Je peux écrire sur tout ce que je veux en Amérique. Je ne suis pas obligé d’écrire sur le Sud. Je peux écrire sur n’importe quel sujet. Tout ça parce que je suis parti et que j’ai pris le train en 1962 pour le Michigan et l’université. Je n’oublierai jamais lorsque le train est arrivé à Chicago en provenance de La Nouvelle-Orléans. C’est le sentiment le plus libérateur, le plus engageant que j’ai jamais éprouvé à ce moment-là de ma vie. J’avais 18 ans et je me suis dit: « Oh mec, tu as fait le bon choix ».

Le Paradis des fous ****de Richard Ford

L’Olivier, traduit de l’anglais (États-Unis) par Josée Kamoun, 384 pages.

À l’image de son aîné Philip Roth avec Nathan Zuckerman, l’œuvre de l’auteur de Canada et d’Indépendance est marquée par le personnage de Frank Bascombe, ni vraiment son alter ego ni le double fictionnel de Richard Ford rien que parce que ce dernier n’a délibérément pas d’enfants et est en couple avec Kristina Hensley depuis quasi soixante ans. Il n’empêche que Ford en a fait voir de toutes les couleurs à l’ancien chroniqueur sportif reconverti en agent immobilier à Haddam (Connecticut) qu’est Frank Bascombe en presque 30 ans et la sortie de Un week-end dans le Michigan sorti aux États-Unis en 1986. Comme le résume le romancier dès la première page de son délicieux cinquième et ultime volet du cycle Bascombe Le Paradis des fous, Frank a affronté: « La mort cruelle de mon premier fils (j’en ai un autre). Le divorce (deux fois!). J’ai eu un cancer, mes parents sont morts. Ma première femme est morte, elle aussi ».

À 74 ans, l’ami Franky est confronté à une autre épreuve. Son fils Paul est atteint de la maladie de Charcot. Leurs relations (voir Indépendance, NDLR) ont souvent été orageuses et pour adoucir la dernière ligne droite du fiston, être en paix avec lui-même et surtout permettre à Paul de partir apaisé, Frank lui propose, une fois un traitement expérimental terminé, de tracer la route jusqu’au mont Rushmore. Derrière ce pitch assez lourd de prime abord, Le Paradis des fous est une petite merveille. Certains passages sont drôles, irrésistibles même comme cet arrêt au Palais du maïs, une espèce de Kremlin décoré en maïs et céréales, sur la route du mémorial où quatre présidents sont sculptés dans la roche. En sous-texte de cette comédie humaine au final très lumineuse, Richard Ford dresse comme toujours et par petites touches, un portrait oblique de l’Amérique avec finesse et une rare intelligence.

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