ROMAN | Dernier volet de la Trilogie de l’emprise, l’Ultime partie fait un saisissant portrait des moeurs de l’actuelle République, même si les figures en sont imaginaires…
La Chambre des officiers, La Malédiction d’Edgar, Avenue des géants… Marc Dugain est un auteur prolixe dont on connaît la capacité à immiscer son récit dans les interstices de l’Histoire. Commencée avec L’Emprise en 2014 et Quinquennat en 2015, close aujourd’hui sur cette Ultime Partie, sa Trilogie de l’emprise vise pour sa part l’Histoire telle qu’elle est en train de se faire -ou presque.
Dans un style forcément réaliste, visuel (une adaptation télévisée serait d’ailleurs envisagée) sans pour autant être superficiel, le romancier y décrit en trois étapes l’accession à la présidence, le « règne » puis la réélection de Philippe Launay, et son combat sans pitié contre Lubiak, rival dans son propre parti: le tout sur fond de trahisons, de financements occultes, de rétrocommissions, d’assassinats, d’espionnage, de sexe, de mâles alpha et de NSA.
« Les services de renseignements sont plus proches des grandes entreprises mondiales que nous. Pour une simple raison: les plus grandes entreprises de la planète, les plus grandes fortunes travaillent directement ou indirectement dans le renseignement, comme producteurs de technologie compatible ou fournisseurs de données ou sous-traitants. Tout ce monde-là travaille pour le grand marché de l’impatience, qui veut que chacun soit occupé à tout moment, capable de se connecter toujours plus vite, dormir moins longtemps, se créer un maximum d’addictions à des choses qui n’en valent pas la peine, vendre son intimité au diable. Il en résulterait une dictature parfaite dans laquelle les politiques ne seraient que des laquais. Nous nous dirigeons vers l’extinction totale du politique, de la littérature, de la philosophie et de l’histoire. » C’est le Président Launay qui parle. Proche de Mitterrand par son côté animal à sang froid qui veut s’inscrire dans l’Histoire, et de Jacques Chirac par sa posture gaullienne et « anti »-américaine, le personnage permet à Marc Dugain (et sa tendance, certes compréhensible, à la paranoïa -on se souvient de La Malédiction d’Edgar) un discours philosophique voire historique. Et quand le romancier lui fait évoquer Lubiak, son ennemi de l’intérieur, c’est la figure de Nicolas Sarkozy qui vient à l’esprit: « Il vient de se rallier à un système bien connu, celui des conférences. Pas des conférences à Harvard ou Cambridge, mais devant des auditoires confidentiels qui soi-disant payent très cher pour venir l’écouter. »
Saga crépusculaire
Marc Dugain assortit sa fiction d’une réflexion acérée, lucide, passionnante et pour tout dire déprimante sur l’état de décomposition de l’idéal démocratique en général et la déliquescence des institutions républicaines en particulier. « L’essence du notre constitution n’est pas celle d’une monarchie parlementaire, mais d’une monarchie absolue », assène encore l’oracle présidentiel en s’adressant à son médecin traitant devenu son seul confident et ami. « La coexistence d’un Premier ministre et d’un Président n’a plus le sens que lui avaient donné les institutions. En bref, la Constitution est vétuste et nécessite une réforme ambitieuse. » Un plaidoyer pour la proportionnelle distillé non pas au travers d’un essai politique, mais par le truchement d’une saga haletante et crépusculaire aux relents fétides d’affaire Clearstream. Aucun populisme pourtant. Juste le constat que la France, malade, ne l’est pas qu’économiquement: et que si elle souffre dans son corps c’est aussi qu’elle a mal… à la tête.
DE MARC DUGAIN, ÉDITIONS GALLIMARD, 261 PAGES.
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