ROMAN | Yannick Haenel déchiffre les arcanes de la solitude, offrant au lecteur abasourdi des tourbillons de prophétie à décrocher les étoiles. Prix Médicis.
« Croirez-vous sérieusement qu’on puisse attendre la rédemption, un peu pété, tout seul, le soir de ses cinquante ans, entre un aquarium à crustacés et un sosie d’Emmanuel Macron? Ces choses-là relèvent du mystère. » Jean a écrit un énorme scénario sur la vie de Herman Melville, The Great Melville, dont aucun producteur ne veut. Plongé dans une solitude aberrante, il fait tourner sa vie autour de la sainte trinité -ordinateur, frigo, vodka-, ressassant des films jusqu’à l’obsession: Apocalypse Now de Coppola et The Deer Hunter (Voyage au bout de l’enfer) du grand Cimino, auxquels il porte un dévouement sacré. « Oui, j’étais assez fou pour croire qu’un secret circule à travers des films; assez fou pour imaginer qu’il soit possible d’y accéder, et même d’en recevoir des lumières. (…) impossible, certains soirs, de savoir si je ne me montais pas complètement le bourrichon. » Il est alors frappé par une épiphanie: il lui faut impérativement faire lire The Great Melville à Michael Cimino, réalisateur mythique de La Porte du paradis. La rencontre a lieu à New York et accoste sur Ellis Island, entrée principale des immigrants au début du XXe siècle. Embrasé par le feu qui consume le réalisateur américain, notre héros revient transformé à Paris; où s’enchaînent les aventures rocambolesques en compagnie d’Isabelle Huppert, d’un dalmatien, de la déesse Diane et de deux moustachus louches. « Aujourd’hui, c’était mon anniversaire, et à cinquante ans je m’offrais ce cadeau: vivre dans un roman d’aventures. »
Love will tear us apart
Vous êtes de ceux qui voudraient participer à l’ivresse du ciel et la pesanteur vous écrase? Le livre s’ouvre sur un coup de force: une phrase, merveilleuse invitation au voyage, qui se déploie sur toute la page. La comédie de notre vie cache une histoire sacrée, ce roman part à sa recherche. Quelle vérité scintille entre cinéma et littérature? Tel le capitaine Achab lancé sur les traces de la baleine blanche dans Moby Dick, Yannick Haenel (Cercle, Jan Karski) allume un brasier, une mutinerie aux dimensions du monde. Et avec quelle maestria! Pour faire entendre la solitude d’un écrivain, ce mystique à la recherche d’un trésor, l’auteur fait feu de tous bois et nous entraîne dans la population de ses pensées.« (…) j’étais possédé: les noms, les livres, les phrases, les films n’arrêtaient pas de vivre à l’intérieur de ma tête, ils se donnaient rendez-vous entre eux pour former des extases (…) » Avec un humour salvateur, Haenel conte les péripéties d’un héros saugrenu qui, doutant de tout, croyait en son étoile. En découle des tourbillons de prophéties, un déluge de révélations, la volupté des gouttes. Plus loin dans la forêt de signes, c’est toute l’histoire du monde qui s’affole -les attentats de Paris, les campements de réfugiés. Frôlant l’abîme, Haenel embrasse l’hécatombe qui signe l’espèce humaine, tous ceux que le monde avait exclus -les Juifs d’Europe et les Indiens des Plaines, les parias de la société occidentale. Une autre histoire se raconte, crève l’écran et s’adresse à votre âme. Il faut s’abandonner à ce grand livre magique, un coup à vous convertir à la littérature! « Le sourire de Cimino disait: « quelle joie de vivre dans un récit » -il disait: « viens ». »
Tiens ferme ta couronne, de Yannick Haenel, Éditions Gallimard, collection L’Infini, 350 pages. ****(*)
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