Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Sombre héritage, de Jean-Paul Dubois

Jean-Paul Dubois © Patrice Normand/Opale/Leemage/Éditions de l'Olivier
François Perrin Journaliste

ROMAN | Après cinq ans de silence, Jean-Paul Dubois signe un grand roman sur une thématique sinistre, en s’offrant le luxe de toujours faire sourire.

Passé maître, depuis plus de 30 ans qu’il écrit, dans l’art de transformer en alchimiste le sinistre, le macabre, le scabreux en grand guignol flegmatique, posé, l’air de rien, Jean-Paul Dubois squatte cette rentrée avec un roman explosif autant qu’étrange. La Succession, donc, soit l’histoire qu’un oeil distrait qualifierait un peu trop vite de dépressive de Paul Katrakilis, fils d’une bonne famille de médecins de père en fils. Rattrapé par la mort brutale de son père en décembre 1987, alors qu’il avait fui la sinistrose familiale afin de jouer en Floride à la pelote basque pour le compte d’employeurs inconséquents et un public de parieurs avinés, ce rejeton d’une famille névrosée revient à Toulouse dans la maison familiale, flanqué du clébard qu’il a sauvé des eaux. Là-bas, il avait connu quelques « années merveilleuses », modestement environné d’un inconditionnel copain, d’un bateau de pêche sur lequel il se répandait en gerbes à chaque sortie du fait d’une absence parfaite de pied marin, et d’une vieille guimbarde qui lui suffisait amplement. D’une sensuelle patronne de bistrot, aussi, qui le congédia du jour au lendemain de sa couche comme d’un boulot de serveur, pour une raison qu’il mettra un bail à découvrir. Convaincu après ces quelques revers du sort de reprendre le cabinet médical français de son père, sis en une maison familiale portant encore les traces des systématiques suicides de tous les membres de son arbre généalogique, Paul découvrira bientôt le lourd secret du paternel, avant-dernier survivant d’une lignée rompue à la mise en scène funeste. Et n’aura de cesse de se demander s’il est génétiquement condamné à s’inscrire dans la série: celle constituée par son grand-père, ancien médecin de Staline, mort de s’être logé une balle en plein coeur; par le duo quasi incestueux formé par sa mère et son oncle, disparus à quelques jours d’écart de leur propre chef; enfin de son père, ayant décidé un beau jour de se jeter du haut d’un immeuble la tête enrobée de ruban adhésif.

Enchanteur plutôt que plombant

[Le livre de la semaine] Sombre héritage, de Jean-Paul Dubois

Multipliant les clins d’oeil au triste destin de la famille Hemingway, voire directement à Ernest grâce aux incursions dans le Sud-Est américain, Jean-Paul Dubois réalise l’exploit d’éviter de plomber le moral de son lecteur malgré la thématique suicide/maladies/euthanasie qui traverse le roman. L’absence totale de réaction du père à la découverte de sa femme intoxiquée au monoxyde de carbone, qui se mitonne un petit plat avant de se demander s’il convient de garder la voiture incriminée, contribue par exemple à l’atmosphère presque burlesque d’un roman qui ne parle pourtant que de mort. De son côté, le parallèle entre la psychologie de Paul et celle, mâtinée de résignation fidèle, de son chien, qui « avait lui-même délimité le périmètre de son monde, et cette portion suffisait à son bonheur », achève de désamorcer la gravité des faits.

En conviant enfin au coeur de l’intrigue des personnages hauts en couleur tels l’athlète improvisé Spyridon Katrakilis ou le prophétique assassin (raté) de président Giuseppe Zangara, en multipliant la présentation de théories existentielles plus stupides les unes que les autres et en ne se départant jamais d’une plume ébouriffée d’un irrésistible humour à froid, Dubois enchante plutôt qu’il ne déprime, sans s’interdire d’introduire une réflexion contrastée sur le droit à mourir dans la dignité ni de rappeler que, même aux États-Unis, des galériens paupérisés étaient susceptibles à une époque récente de remporter une grève de longue durée.

DE JEAN-PAUL DUBOIS, ÉDITIONS DE L’OLIVIER, 240 PAGES. ****

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