Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Sauve qui peut (la Révolution), de Thierry Froger

Thierry Froger © L. Barbin
Bernard Roisin Journaliste

Thierry Froger évoque la révolution et le cinéma de Godard dans un premier roman vertigineux.

En juin 1988, le président de la mission du Bicentenaire de la Révolution française prend sa plus belle plume, qu’on imagine d’oie, et -à la demande de Jack Lang- propose à Jean-Luc Godard de réaliser un film pour lequel il aurait carte blanche, afin de commémorer les 200 ans des idées républicaines. L’Helvète accepte, mais se révèle peu neutre, et carrément blasphématoire quant au credo républicain dans ses premières ébauches. Peu au fait du détail des événements de l’époque et butant sur cette mission qu’il promet de terminer en… 1993, le cinéaste s’en va quérir, sur une île de l’embouchure de la Loire, l’avis de son vieux « camarade » de jeunesse communiste, l’historien Jacques Pierre, lui-même embourbé dans une vie de Danton qu’il ne parvient pas à finir.

À 200 années de là, c’est sur cette même petite émergence du fleuve qu’un Danton épargné par Robespierre débarque en compagnie de sa jeune épouse, Louise. Le banni va tenter aux marches de la Chouannerie de mettre en pratique les principes de la République qu’il a énoncés à Paris sans pouvoir les mettre en place en France…

Histoire d’eau

[Le livre de la semaine] Sauve qui peut (la Révolution), de Thierry Froger

Vertigineuse entreprise que ce premier roman signé Thierry Froger qui, dans un triptyque imagé, parvient à mettre en scène Jean-Luc Godard, Jack Lang ou Jean-Noël Jeanneney, à faire se rencontrer Danton et le Petit Caporal corse à l’île d’Elbe, à nous dévoiler les synopsis successifs imaginés par le cinéaste et, au bas de cet impressionnant retable, à nous conter encore l’histoire du terrorisme de gauche en France dans les années 80.

Un tableau chargé? Pas tant que cela, car le livre bénéficie d’un montage précis, d’une écriture sans fioritures et d’une fluidité quasi aquatique. Et pour cause: dans ce récit ou plutôt ces récits à distance qui se rejoignent, l’eau et la Loire surtout ont leur importance, symbole du temps qui s’écoule et des flots imperturbables de l’Histoire qui charrie indifférente son limon fertile en événements, reflet aussi du brillant de la lame qui coupe, qui tranche, isolant d’une réalité sur laquelle on ne peut, ou ne veut plus, agir.

Autre divorce symbolique, celui entre la tête toujours agissante et le corps vieillissant qui ne suit plus, ou entre les idées des hommes qui ne peuvent contrôler leur corps, lorsque Jean-Luc tombe amoureux et séduit la jeune Rose, fille de Jacques, ou que le vieux Danton aime, puis perd sa Louise.

Réflexion aussi sur l’échec d’une idée, la Révolution, et d’un médium, le cinéma, tous deux pervertis par l’homme et sa vanité, Sauve qui peut (la Révolution) -paraphrase de Sauve qui peut (la vie) du même Jean-Luc Godard-, est lui-même truffé de tableaux que l’on croirait sortis d’une oeuvre cinématographique. La scène du Martinez à Cannes où, accoudés au balcon respectif de leurs chambres qui se révèlent voisines, Godard et Fellini discutent de l’échec du cinéma…. mériterait à elle seule tout un film.

SAUVE QUI PEUT (LA RÉVOLUTION), DE THIERRY FROGER, ÉDITIONS ACTES SUD, 437 PAGES. ****

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