[le livre de la semaine] Petites boîtes, de Yôko Ogawa: instantanés d’ombres
Yôko Ogawa inscrit entre deux mondes un roman éminemment troublant, où des parents tentent d’entrer en contact avec leurs enfants disparus.
Il plane sur l’oeuvre de Yôko Ogawa, prolifique romancière japonaise à qui l’on doit notamment Le Musée du silence, La Formule préférée du professeur et autre Instantanés d’ambre, un envoûtant parfum d’étrangeté inscrite à même le quotidien. Ainsi dans Petites boîtes, son 26e livre traduit en français, dont la narratrice vit dans une ancienne école maternelle, où tout a une taille adaptée aux petits enfants: « Au début, j’évaluais mal les distances, et souvent je trébuchais, je me cognais la tête, j’avais mal au dos à force de me tenir courbée, mais maintenant, j’y suis complètement habituée. Mon corps s’y meut naturellement, je n’ai pas à réfléchir pour savoir à quel point rentrer les épaules ou fléchir les genoux. Je me suis rendu compte que les dimensions de mon corps s’étaient faites à tous les espaces de la maison. » Mais si elle a tout lieu de croire que son corps est en train de rétrécir pour s’harmoniser avec son environnement, elle n’en fait pas un drame pour autant: c’est toute la ville dont l’horizon semble se replier sur ses habitants, portant le deuil d’un monde sans enfants. Ainsi de sa cousine qui n’emprunte plus que les chemins sur lesquels avait marché son fils, noyé à l’âge de onze ans, et qui se nourrit de la lecture d’ouvrages d’auteurs morts exclusivement.
Communication avec l’au-delà
L’emploi du temps de la narratrice se partage pour sa part entre diverses occupations rituelles: déchiffrer pour monsieur Baryton, l’ancien conservateur du Musée d’histoire locale désormais fermé, les lettres d’amour que lui adresse son aimée hospitalisée d’une écriture qui s’amenuise. Ou veiller sur les boîtes en verre alignées dans l’auditorium de l’école, vitrines ayant « exactement la bonne taille pour qu’une âme d’enfant grandisse dans l’au-delà« , et dans lesquelles les parents viennent déposer des objets à l’attention de leurs enfants disparus. Ces mêmes enfants avec lesquels ils tentent de communiquer à la saison où souffle le vent d’ouest, dans ce qu’on appelle « le concert de soi à soi », seuls à pouvoir capter la voix des absents…
La mémoire constitue l’un des thèmes de prédilection de Yôko Ogawa, ayant irrigué une bonne part de son oeuvre, de La Formule préférée du professeur à Cristallisation secrète. Il trouve dans Petites boîtes une expression saisissante, le roman étant bercé d’un onirisme morbide d’autant plus troublant sans doute que la langue de l’écrivaine ne se départit jamais de son apparente simplicité. Manière de mieux entraîner le lecteur en quelque monde flottant, comme suspendu entre l’ici et l’au-delà pour faire dialoguer les vivants et les morts. Un cadre en prise sur la précarité de l’existence, qu’elle embrasse d’une écriture dont l’évanescence vrille au coeur.
Petites boîtes
De Yôko Ogawa, éditions Actes Sud, traduit du japonais par Sophie Refle, 208 pages. ****
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