Le livre de la semaine : Mustiks, une odyssée en Zambie, de Namwali Serpell
Namwali Serpell, Éditions du Seuil
Mustiks, une odyssée en Zambie
704 pages
Avec Mustiks, premier roman étourdissant, Namwali Serpell embrasse un siècle d’Histoire zambienne à travers trois générations. Coup de maître!
Peaufiné durant 20 ans, le premier roman de la Zambienne Namwali Serpell embrasse une épopée étourdissante. Sur quelque 700 pages, ce livre-fleuve serpente entre trois familles suivies sur trois générations: grands-mères, mères et enfants. Qu’ils soient noirs, blancs, métisses, originaires de Zambie, d’Angleterre ou d’Italie, les personnages convergent vers Lusaka. Le tout ponctué par un chœur de moustiques (les Mustiks qui donnent son titre “français” à The Old Rift), essaim “bourdonnant comme un orchestre allemand”.
Mais reprenons depuis le début. 1903, l’aventurier Percy M. Clark découvre la Rhodésie du Nord-Ouest. Débarqué de Cambridge, le pionnier tombe en pâmoison devant les chutes Victoria. Il passera plus de 30 ans au sein de la petite colonie, The Old Rift, établie au bord du Zambèze. Déjà, le livre semble gagné par une fièvre de récits. Au fil de croquis satiriques et d’ellipses faramineuses, 30 années défilent au pas de charge enrobées sous le ton bravache du colonisateur, pour qui il est “impossible de fraterniser avec les Noirs, naturellement et le besoin de compagnie aurait été insupportable s’il n’y avait pas eu la chienne fox-terrier que l’on m’avait offerte à la mine de charbon de Walkie”. Voilà pour les prémices, ils sont époustouflants.
Chien qui aboie ne mord pas
Préjugés raciaux, affres de classe, politique révolutionnaire, ravages du sida, histoires d’amour, émancipation féminine… Serpell fait feu de tout bois. Faisant alterner les époques et les points de vue, l’autrice enregistre les bouleversements subtils comme les préjugés tenaces au travers d’une galerie de portraits de femmes fortes. Initié sous les traits du roman historique, l’épopée hybride multiplie les genres et les styles, lesquels se croisent comme les descendances au fil des générations. Naviguant entre bidonvilles et cocktails noyés dans le gin et la quinine, le livre se pique tour à tour de réalisme social, d’une touche de surréalisme, se déployant jusqu’au burlesque. Et que dire de son réalisme magique au trait sûr: frappée d’hirsutisme, Sibilla a le corps entièrement recouvert d’un pelage abondant, quand Matha ne peut retenir des torrents de larmes.
Luxuriant, sensuel, engagé, le livre ne cesse de subjuguer. Tel ce récit amoureux d’une princesse, championne anglaise de tennis devenue aveugle, à qui il n’était jamais venu à l’esprit “que l’objet de sa passion puisse être de couleur, être négroïde, être africain – un nègre, un cafre” selon les mots du grand-père. Et on a juste effleuré le sort des grands-mères! Il y aurait tant à dire de Sylvia, Isabelle, Thandwive, Joseph, Jacob, Naila… Par cette narration multiple, ces ellipses et une prosodie ensorcelante, ce sont rien moins que les fantômes de Faulkner et de García Márquez qui s’invitent à ce festin de littérature. Une révélation!
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