Caustique et onirique, la langue de Pola Oloixarac déshabille les rites d’une élite littéraire à la violence sourde. Politique, rêveur et thérapeutique.
Réunis pour un prestigieux festival en Suède, treize écrivains internationaux attendent d’être départagés par la remise du prix Basske-Wortz, récompense littéraire la plus importante d’Europe. Remarquée par la grâce d’un premier roman mêlant politique et littérature, la Péruvienne Mona y déambule comme dans un songe. La jeune femme, frayant parmi ses semblables, observe la sarabande, partagée entre défiance, séduction et sarcasme. Derrière ses lunettes noires, nimbée dans les volutes de son cannabis californien, Mona aspire à disparaître. Anxieuse, se retournant fréquemment pour s’assurer qu’elle n’est pas suivie, l’écrivaine laisse les SMS s’accumuler dans son téléphone. L’idée de se volatiliser, noyée dans un crash aérien ou écrasée par un train, l’aide à se détendre. « La vérité, (…) , c’est qu’elle avait commencé à écrire un de ces livres terrifiants, brillants et dangereux comme une mante religieuse à l’affût, à demi cachée par sa beauté, prête à attaquer. Et voilà que le livre s’était mis à la dévorer toute crue. »
Les mondes engloutis
Depuis Les Théories sauvages (2008), premier roman qui la propulsa à l’avant-plan de la scène littéraire argentine, Pola Oloixarac questionne en profondeur la question de l’affirmation de soi. Sous sa plume, philosophie et anthropologie convolent en des noces sensuelles où le réel est approché comme un sujet d’études. L’écriture, surfant avec intelligence à la lisière du fantastique, fait montre d’une modernité ravageuse et croque avec une ironie mordante les postures de la réputation. Politique, littérature, féminisme, sexe, haine cybernétique… Rien n’échappe à la causticité d’un texte funambule, sinueux et perché, comme en lévitation. Sur la question des violences sociétales -notamment masculine-, le ton singulier et le regard militant de l’autrice prennent corps et âme dans la chair même du texte. « Les universités partageaient des valeurs essentielles avec les zoos traditionnels, dont l’attrait et le prestige dépendaient de la diversité; dans son rôle de Latino-Américaine parfaitement éduquée en pleine administration Trump, Mona vivait sa captivité sereine comme une forme de liberté. » Se glissant sous la peau d’une héroïne dévorée par un tourbillon intérieur, la prose poétique électrise un récit aux entrelacs mystérieux. Comme hypnotisé et happé par ses mystères, emporté par la pulsion d’un flow romanesque puissant, le lecteur pressent que Mona et le livre cachent un secret aux stigmates profonds, à l’instar des marques sur sa peau. La traversée du miroir confine à une transe somnambule, comme dans les meilleurs moments du cinéma de David Lynch ou d’Apichatpong Weerasethakul.
Mona
Roman. De Pola Oloixarac, éditions du Seuil, traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, 176 pages. ****
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