ROMAN | Jeune écrivain primé, Oscar Coop-Phane harponne un baron dépassé dans une prison cinq étoiles, et l’observe y décrépir.
À l’heure de l’apéro, le précieux voire rance baron de Stefano, agacé d’être interrompu dans sa dégustation par un petit voleur d’olives incrusté en son domaine, décide de le tirer comme un lapin. Manque de pot, le tonton du frais cadavre n’est autre que le chef mafieux local: ni une ni deux, le notable, qui n’est tout de même pas n’importe qui, ne se retrouve pas expédié ad patres mais pensionnaire à vie de la chambre 416 d’un hôtel de luxe -condamnée quant à elle à accueillir « la débauche affectée des élégants ». Noyé dans un luxe étouffant, avec interdiction à jamais de quitter sa prison dorée, il s’étiole à vue d’oeil, s’invente des amours ancillaires voire tarifées, des compagnons de bamboche en chambre, et même des alliés torves parmi le petit personnel: « Je n’ai jamais aimé les hommes, confesse-t-il, Mais on m’a écarté de la danse, et ça, voyez-vous, je n’arrive pas à m’y faire. » Puis, il constate, plus loin: « Mon visage est pâle, si pâle. Avant, il portait sans cesse les stigmates du plein air, la couleur cuivrée des peaux exposées. (…) À ce rythme-là, tu vas disparaître tout à fait mon vieux. »
Parmi son nouvel entourage, le directeur, qui « transporte en lui tant de prévenance, de gestes contraints et de ponctuations bien assises qu’on ne peut pas lui faire confiance« , mais aussi et surtout une femme de ménage, sa jeune nièce au timbre cristallin, un barman compétent mais toxico, un barbier mutique, un groom aussi discret que merveilleux, et le concierge, boule de haine aux gènes de maton sinon de balance. Heureusement pour lui, aussi, quelques êtres de passage, qu’il perçoit lumineux à tort ou à raison, mais qui l’aident à occuper son temps, voire lui donnent l’occasion de deux sorties clandestines, aux atours carnavalesques.
Perles dans la poussière
Alternant avec une indéniable maîtrise passages à la première puis à la troisième personne, Oscar Coop-Phane -qui conspue les « romans maniérés »– exploite en connaisseur un style emprunté, parfois vieillot (ici, les femmes « se donnent« ), offrant deux perles réjouissantes (notamment ce mac « aussi tristement convenu que les feuilles en papier glacé des manuels de sécurité routière (…) L’armée des sans-secrets aime se donner des coiffures étonnantes ») pour une pesanteur indigeste (« il plonge sous les nappes duvetées de la déchéance »). Quand il n’est pas logé Villa Médicis, Coop-Phane est barman à la ville. Le Parisien, prix de Flore en 2012 pour Zénith-Hotel, décrit donc particulièrement bien ce qu’il connaît le mieux: les dernières sensations d’une fin de service (« le bleu traître du sucre qui colle à l’évier et des sacs-poubelles que l’on noue »), le « petit mystère alcoolique des âmes blessées » dénichées parmi la clientèle, et plus encore les « animaux de la nuit noire », avec lesquels « on ne sait jamais à quoi s’attendre » tant « on ne s’attroupe pas par genre défini comme en construisent les magazines, (…) ce ne sont pas des types qui se réunissent au nom d’un goût, d’une musique, d’une déviance sexuelle, que sais-je, un uniforme ou une occupation similaire. » Pour le reste, l’ensemble tient solidement, entre vaudeville à l’hôtel et chronique de dépérissements programmés, la langue qu’on aurait pu craindre ampoulée faisant mouche à presque chaque nouveau claquement.
D’OSCAR COOP-PHANE, ÉDITIONS GRASSET, 318 PAGES. ***(*)
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