Dans ce récit poignant, Taina Tervonen accompagne deux professionnelles tentant d’identifier les corps des charniers de la guerre des Balkans.
Taina Tervonen est journaliste indépendante, « par amour pour les histoires« . En parallèle d’un webdocumentaire sur le village de Trnopolje (transformé en camp de concentration lors de la guerre des Balkans), elle s’intéresse aux personnes disparues de cette région, et commence à rassembler dès 2010 de la matière en vue d’un premier documentaire (Parler avec les morts, 2020). « Mais de ce qui se passe au moment où la terre s’ouvre pour laisser remonter le passé, je ne savais rien. » Pour comprendre, il lui faudra se mettre dans les pas de deux femmes dont c’est le quotidien: « Un charnier, c’est du boulot« . Pour Senem, anthropologue judiciaire confrontée dès 21 ans à la tâche, c’est plus facile de parler avec les os qu’avec les familles. Quant à Darija, c’est une enquêtrice qui collecte patiemment non seulement le sang mais aussi des informations ante mortem, celles qu’accepteront encore de partager les proches des disparu(e)s, malgré leur deuil béant. Toutes deux ont aussi vécu la guerre de l’intérieur et en mesurent le coût sur leur vie intime. Elles connaissent aussi le silence pesant qui entoure leurs tâches ingrates.
Nommer les morts
Ils sont prêts de 900 habitants de villages bosniaques et croates aux alentours de Toma?ica à avoir subi le nettoyage ethnique orchestré par Ratko Mladic et Radovan Karad¸ic dès l’été 1992 -soit trois ans avant le massacre de Srebrenica. Parmi les difficultés de ce travail, on trouve le déplacement des cadavres d’un charnier à l’autre. Pour maquiller leurs crimes, certains exécuteurs -ou leurs sous-fifres- ont transporté en camion une partie des cadavres. Et puis, omniprésente et véritable obstacle à une avancée rapide, l’odeur de certains corps conservés par les conditions particulières. « L’identification, c’est comme un point que les familles arrivent à mettre au bout d’une phrase longue de quinze ans », explique Senem, résignée quant à une issue forcément douloureuse. Elle sait qu’il sera impossible de mettre un nom sur chaque dépouille et de retrouver une trace tangible de tous ceux qui sont morts.
Au-delà des procédures techniques qui ancrent ce récit, Taina Tervonen se positionne toujours du côté de l’humain. À l’aide d’un jeune interprète serbe, elle a la possibilité de s’entretenir avec les familles venues se recueillir au bord des charniers. Ce sont elles qui se relaient pour nourrir les équipes: « Les femmes, partout dans le monde, savent s’accrocher au réconfort d’une soupe chaude quand l’univers flanche« . Ce que l’autrice nous donne à lire dans ce texte est non seulement déchirant mais essentiel. Partout où gisent des vies trop tôt et injustement arrachées, il nous faudrait en collecter les échos et les stigmates. Elle qui a aussi procédé à ce méticuleux et empathique travail d’évocation à propos d’un migrant disparu en Méditerranée, nous touche encore, ici, complètement à coeur.
Les Fossoyeuses
De Taina Tervonen, éditions Marchialy, 300 pages. ****
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