[le livre de la semaine] Le Zoo des absents, de Joël Baqué: la loi de la jungle
Initiant un placide retraité à la cause antispéciste, Joël Baqué (La fonte des glaces) renoue avec l’humour discret et grinçant où il excelle.
À Béziers, depuis son départ de la comptabilité des Salaisons Occitanes, René Cormet coule une retraite mesurée. Taillant le bout de gras avec Stella, la caissière de la supérette le convie à une conférence antispéciste. Or, si René ne mange ni viande ni poisson, c’est parce qu’il ne digère pas la première et est allergique au second. « René était un homme du juste milieu, pas un homme du radical. » Mais pourquoi pas, allons bon… Au Hangar, le vieux garçon découvre le conférencier Daniel Rakoutan, une pointure, héritier dissident de Peter Singer, l’auteur de la bible La Libération animale. Cependant, René n’a d’yeux que pour Lison, ancienne skieuse acrobatique, la trentaine enjouée, maître de conférence en philosophie morale. Un coup de foudre filial qui lui ouvre de nouveaux horizons. Lison, mandatée par un consortium spécialisé dans les biotechnologies, l’invite à la rejoindre au sein d’une fondation nichée au coeur d’un ancien bunker de l’armée suisse. René aurait-il in fine rendez-vous avec son destin? « Sa routine en prenait un coup, c’était imprévu et agréable. »
Héros aquoibonistes
« La loi de la jungle, c’est bien plus féroce que la traduction charcutière. » Alliage méticuleux d’humour grinçant et de poésie désabusée, le style Baqué fait mouche pour saisir les manies inoffensives de héros solitaires, par défaut ou par habitude, « aux traits consensuels jusqu’à l’effacement« . Une façon de rendre immédiatement attachants ces anonymes hagards, dont le triomphe modeste culmine dans « le domptage d’un demi-cahier de jeux de chiffres, force cinq« . Il y a là quelque chose de l’ordre des antihéros chers à Jean Echenoz, des aquoibonistes ragaillardis par le hasard -pas toujours les plus dégourdis, bousculés dans leurs certitudes, propulsés malgré eux vers l’aventure voire, qui sait, une épopée. Sur la somme des effacements personnels qui peuplent une vie, purgatoire des relégations, Baqué procède à pas de loup pour décanter une mélancolie douce-amère. Ainsi les trois relations affectives du sexagénaire, brossées en deux pages, se dégustent comme un vin de garde tandis que l’allégorie de 40 ans de vexation professionnelle grésille sous « des néons (…) diffusant une sorte d’ombre albinos« . Dans la dernière partie, quelques coups de pinceau houellebecquiens viennent parfaire le geste d’ensemble tandis qu’affleurent des clones cousins du Daniel de La Possibilité d’une île. Côtoyant les succédanés de René guidant des visites scolaires en des galeries de l’épouvante, peuplées d’espèces éteintes, le lecteur s’impatiente de voir le Biterrois accéder à la reconnaissance qu’il mérite amplement. « Ah bon , répondit René pris de court par ces précisions non sollicitées. »
Le Zoo des absents
Roman. De Joël Baqué, éditions P.O.L., 192 pages. ****
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