[le livre de la semaine] Le Musée des contradictions, d’Antoine Wauters: vers la joie
En douze discours tendus vers des alternatives plus supportables, Antoine Wauters prend le pouls d’un monde englué dans la perte de sens et l’accélération.
Ceux et celles qui s’avancent dans ces douze textes pour faire surgir leurs voix (sans risque pour une fois d’être muselés) sont des « gamins de la crasse élémentaire« , des personnes âgées qu’on gave de flans à la vanille ou croit séniles, des mères avec les nerfs qui se détraquent, grevées par la culpabilité d’avoir enfanté dans un tel monde, des jeunes en déréliction (« Notre déclin, voilà ce qu’il nous reste« ), ou « trois milliards de torpeurs et de voix enfouies sous des protège-nez« . Tout déclassés ou oubliés qu’ils soient, ils savent mettre le doigt sur la plaie pour revendiquer un simple droit à l’existence, ont le souvenir de la « joie sauvage de (leurs) premières années », des fleurs qu’on prenait le temps de voir pousser. Les poétesses qui peuplent Discours de la minorité devenue majoritaire regrettent leurs productions littéraires des débuts (« De bien des manières, on écrivait de guingois. Des mots enrenardés. Des mots enforestés »), pas encore passées au tamis de l’efficacité mais d’une sincérité désarmante, avec en écho Ingeborg Bachmann. Quant à ces hommes aliénés par le monde du travail qui décident, dans Discours du haut séquoia de ne plus redescendre de la canopée, ils nous évoquent le Bartleby de Melville mâtiné d’un zeste des personnages de Richard Powers dans L’Arbre-Monde quand Antoine Wauters lui-même y glisse plutôt un clin d’oeil au Baron perché d’Italo Calvino.
Refaire liant
En optant à chaque fragment ou presque pour le nous, « pronom personnel de l’utopie, de l’impossible » en bannière face à une époque marquée par ses scissions, l’auteur cherche, en poète, à rendre compte de ce qu’il reste du ciment commun, celui qui tient les êtres debout et les ranime avec une ferveur tantôt aiguisée tantôt usée par l’incompréhension des puissances gouvernantes, de ceux qui resserrent le cadre, éructent des « mots-mascarades » ou conçoivent plus qu’il n’en faut de « bars à pancettas » ou « bars à caniches ».
De façon sous-jacente, à travers ces figures nuancées en proie à leurs propres conflits intérieurs, c’est aussi la valse-hésitation d’un écrivain face au brouhaha chaotique du monde qui est à l’oeuvre. Faut-il s’enrager/s’engager, ou rendre le gant? Se mettre à courir, les jambes nues pour tendre à nouveau vers la joie, ou faire front? Dynamiter le système de l’intérieur en y réinjectant une langue qui fasse sens, à la portée de tous, ou adopter la position retranchée du styli(s)te? En élisant Pasolini (tant ses Écrits corsaires que son Article des lucioles, et qui déclarait que la plus grande authenticité se nichait dans « l’ivresse poétique« ) comme figure de proue de son nouveau livre dense et porté par les souffles, Antoine Wauters s’est choisi un cap renouvelé, plus radical ou politique mais pas moins passionnant.
Le Musée des contradictions
Feuilleton. D’Antoine Wauters, éditions du Sous-sol, 112 pages. ****
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