ROMAN | De la main du scénariste de Fellini, deux courts romans sur l’identité dans un monde obsédé par l’apparence. Irrévérencieux et follement moderne.
Ecrivain, scénariste et journaliste italien, Ennio Flaiano est surtout connu pour sa fructueuse collaboration avec Fellini. On leur doit entre autres Huit et demi et La Dolce Vita. Enfin traduit en français, Le Jeu et le Massacre est le dernier ouvrage publié de son vivant (1970). Il rassemble deux courts romans qui se reflètent et se complètent, unis par un même dessein trouble: les enjeux d’une transformation. Dans Oh! Bombay!, Lorenzo Adamante, discrète réputation d’homosexuel, tient un journal intime pour comprendre ce qui lui arrive… Au retour d’un séjour à Hong Kong, ce décorateur d’intérieur -surtout intéressé par la littérature- débarque dans un état d’intense excitation et se met en couple avec Anna Bac. Entre deux montées de fièvre, il scrute avec avidité le téléviseur de poche ramené du Japon où crépitent des flashs hallucinés sur son désir anxieux de « normalité ». Second roman et pièce maîtresse, Melampus prend pour cadre le New York des années 60, où le scénariste Giorgio Fabro fait escale. Tandis qu’un producteur de film s’impatiente, espérant toujours l’italian touch qui fera rire, Fabro est assailli par le doute, dont il consigne méticuleusement les stigmates dans un carnet. Un soir, il échoue dans un théâtre où l’on ne joue rien, sinon ce que les spectateurs veulent y représenter: c’est-à-dire eux-mêmes. « Après avoir écrit mon scénario inutile (…) j’ai décidé de rester. » Pour lui tenir compagnie: Melampus, un cocker anglais dont on lui fait cadeau. « Melampus est le nom d’un chien dans Lolita, le roman », intervient Liza Baldwin. Les grandes histoires d’amour ne commencent-elles pas bêtement? Déménager à la campagne, vivre ensemble, Liza, fille snob et blasée d’une vingtaine d’années, a tout résolu en une journée. Voici qu’elle se love contre Fabro sur le canapé, la tête sur son épaule. Chaque promenade la rend euphorique et elle renifle les fleurs sauvages. La nuit, elle préfère dormir au fond du lit, à côté de ses pieds. Liza Baldwin est en train de devenir un chien…
Black Mirror
Deux métamorphoses, deux tentatives d’exister autrement, pleines d’anfractuosités, où le fantastique vient se déposer en une fine pellicule. Doit-on craindre d’être englouti par un amour définitif? Peut-on s’aliéner dans la fidélité? Certains tableaux puissants font songer au cinéma de Lynch, de Leos Carax. Quant au mini-téléviseur à la monstration obsédante, on pourrait le retrouver à l’oeuvre dans la très contemporaine série Black Mirror, laquelle met en garde contre les transformations qu’occasionne notre assuétude à la technologie. Or on parle bien de récits rédigés à la fin des années 60! Ennio Flaiano tenait Il Gioco e il Massacro pour son texte essentiel. On y applaudit la pluralité du style, l’élégance folle, la causticité et la distanciation dont use le maestro. L’Italien sait que le héros moderne n’est plus la victime d’une machination divine mais le fruit de ses propres inhibitions. Découvrant brutalement « combien il est monstrueux de savoir qu’on existe, de prendre soudain conscience de la réalité de ce que l’on est », ses personnages épousent cependant le pessimisme enjoué du grand cinéma italien. « L’imagination au pouvoir. Mais quelle imagination accepterait d’y rester? »
D’ENNIO FLAIANO, EDITIONS BUCHET/CHASTEL, TRADUIT DE L’ITALIEN PAR LOUISE BOUDONNAT, 264 PAGES. ****
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