Sous l’apparat d’un foisonnement romanesque flamboyant, l’Italien Sandro Veronesi chante les vertus du stoïcisme: supporte et abstiens-toi.
Après Caos Calmo (Chaos Calme) en 2006, Sandro Veronesi remportait l’année dernière pour la seconde fois le prix Strega, le « Goncourt » italien, avec Il colibri. Virtuose, le style télescope les formes (correspondance, listes, dialogues) et les époques, fait résonner la musique du hasard et des digressions croisée jadis chez Paul Auster. Pour dire les querelles familiales, la perte d’un enfant ou d’un parent, l’Italien enchante un roman hors norme où rien n’arrive par hasard, surtout pas le fait de se tenir coi face à l’agitation incessante qui bouleverse les dominos de l’existence. À quatorze ans, Marco Carrera est beaucoup plus petit que les garçons de son âge, sa mère le surnomme le colibri. Il est le seul ami de Duccio Chilleri, dit l’Innommable, lequel traîne la réputation de porter malheur.
À 20 ans, les compères se perdent de vue suite à la disparition d’un avion en mer de Cilicie. Cette tragédie permet à Marco de rencontrer Marina, avec qui il aura une fille, Adèle. Celle-ci grandit avec un trouble de la perception qui lui fait croire qu’un fil part de son dos, l’obligeant à rester contre le mur pour éviter que les gens trébuchent. On mentionnera encore la correspondance passionnée de Marco avec Luisa, amour impossible scellé par un voeu de chasteté… On n’a encore rien dit du destin d’Irène, soeur ombrageuse, que déjà, à Rome, l’ophtalmologue Marco Carrera reçoit la visite du psychanalyste de sa femme, venu le mettre en garde contre un grave danger.
Allons bon!
« Le loisir est un cadeau empoisonné pour les gens instables. » Après le décès de son épouse, le protagoniste de Chaos Calme (adapté au cinéma avec Nanni Moretti) s’arrêtait sur un banc face à l’école de sa fille pour y passer toutes ses journées. Ici aussi, Marco Carrera met toute son énergie à demeurer immobile. Avec une sorte de fatalisme zen, on l’entend presque accueillir les drames les plus poignants d’un « allons bon » cher aux héros d’Haruki Murakami. « Le fait est qu’on comprend sans mal que le mouvement obéit à un motif alors qu’il est plus difficile de saisir qu’il en va de même pour l’immobilité. » Affabulation faite langage, hantise de la psychanalyse, cyclone des addictions… Contre une forme d’aliénation à la post-modernité, dans une époque où tout le monde veut le changement, Carrera attend d’être rattrapé par un destin portant tous les stigmates de l’exception. Car il revient encore à notre héros placide d’élever l’homme du futur, lequel sera une femme, « nouvelle humanité capable de survivre à la ruine dont l’ancienne est responsable« . De son enfance dans les années 60 jusqu’à ses derniers jours à l’orée 2030, Marco Carrera connaîtra, disons-le, une existence aventureuse. Remarquable.
Le Colibri
De Sandro Veronesi, éditions Grasset, traduit de l’italien par Dominique Vittoz, 384 pages. ****
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