Avec La Volonté, autobiographie captivante, Marc Dugain rend hommage à son père, « Breton carré aux angles francs » et au destin remarquable.
Pour convaincre un interne de mettre fin aux souffrances de son père atteint d’un cancer en phase terminale, Marc Dugain (Trilogie de l’emprise, Ils vont tuer Robert Kennedy) se lance dans le récit d’une vie hors du commun. Aîné de trois enfants, fils de marin et boursier de l’État, le paternel grandit au Havre où il s’imagine capitaine de bateau. Foudroyé à quinze ans par le virus de la poliomyélite, l’adolescent se passionne dès lors pour les sciences: mathématiques, physique, chimie lui permettent d’oublier les années d’hôpital et le fantôme de la pauvreté. S’il deviendra un physicien nucléaire de haut vol, son ambition n’est ni sociale ni financière mais intellectuelle. « Il veut que son handicap soit la dernière chose que l’on voie de lui, et qu’on l’oublie immédiatement. » Contre les réticences voire l’hostilité de leur famille respective, il épouse une brillante jeune femme, féministe d’avant-garde partageant ses idéaux, dont ses rêves d’outre-mer. Peu sensible aux fastes du capitalisme à la française, et son « fétichisme de l’abondance », le couple embarque pour Nouméa puis Dakar grâce à la scientifique coloniale. Dans le cocon doré des expats, ils découvrent une « communauté d’intérêts fondée sur l’éloignement jouissif de la métropole et de ses luttes intestines« . De retour en France, Madame devient la première femme cadre supérieur de son entreprise dans l’ingénierie des eaux. Monsieur s’engage dans la recherche nucléaire avant d’être approché par le renseignement. « Le milieu des autorités est essentiellement celui de la politique, de l’avancée, de la reculade, du double langage et de la trahison souriante. »
La place du fils
Plus de 30 ans après la mort du père, l’admiration du fils infuse chaque ligne de ce roman de transmission, captivant et inspiré. Avec pour toile de fond l’Histoire politique de la France, le rouleau compresseur d’un modèle industriel qui ne se conçoit qu’en expansion, Marc Dugain dresse le portrait sensible d’un homme droit et susceptible, mu par une force de caractère remarquable, pour qui l’inégalité entre les hommes ne doit jamais décourager l’effort et la volonté. « Je préfère ma mémoire visuelle, succession d’images d’un film qu’il m’aurait projeté en m’évoquant ses souvenirs. » Lorsqu’il se dépeint in fine sous les traits d’un jeune hippie perdu dans les narcotiques pour fuir une ambition sociale déprimante, Marc Dugain ne se fait pas de cadeau. Toute sa tendresse, il la réserve pour ce père autoritaire avec qui il entamera un dialogue fécond, aussi admiratif que tardif. « Au moment où je l’ai vraiment connu et compris, où je l’ai vraiment aimé, où enfin j’allais pouvoir profiter de lui et de son estime, on me l’a arraché, comme si ce que nous devions construire ensemble nous était interdit. »
La Volonté
Roman autobiographique. De Marc Dugain, éditions Gallimard, 288 pages. ****
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