Fort d’une suite royale de critiques hôtelières, un livre de chevet désespérément drôle, entre coups d’éclats formels et solitude Lost in Translation.
Qu’il soit anonyme, somptueux, bizarre, descendre dans un hôtel s’apparente à une sorte de deuxième vie. Quand la fatigue s’installe, quand un couple s’arrête pour la danse d’un nouvel amour, il y a toujours un hôtel qui convient. C’est là, entre papier peint à fleurs et produits d’accueil, que nichent les oeuvres de Reginald E. Morse, l’un des dix meilleurs critiques du site NotezVotreHôtel.com.
Calvitie naissante et légèrement bedonnant, la cinquantaine, Reginald est devenu critique d’hôtels comme il est devenu coach en motivation: par accident. Et la vie n’en manque pas. Alors Reg s’est mis à évaluer ses séjours à coups de commentaires bien sentis sur le service d’étage, les grains de poussière, les miettes de crackers Ritz, les phases de la courbe du sommeil conjugal, « quand un battement de coeur peut encore traîner par-ci, par-là ».
Du genre à s’offusquer du fossé entre l’aspect des petits gâteaux offerts et l’expérience gustative qu’on en fait, c’est le même qui, l’air de ne pas y toucher, ne manque pas de donner du biscuit. Soufflant leur humour acide sur papier buvard, entre Woody Allen et Louis C.K., ses billets renferment plusieurs morceaux de bravoure: la liste de ce qu’on ne peut pas dire à son conjoint, la fauche d’un portefeuille par deux petites des Carpates, l’ordination sur Internet pour célébrer la cérémonie nuptiale de son frère avec une Ukrainienne… Entre autres choses. On pense parfois à l’apparente nonchalance du diptyque ciné The Trip, signé Michael Winterbottom.
Entre rire et amertume
Car Reginald (se) penche et s’épanche. Sur le Radisson de la dernière chance, sis à Waterbury, Connecticut. Sur un hôtel design filant la migraine entre meubles jaunes caoutchouteux et reprise façon muzak de Culture Club. Ou, pour le nomade endurci, sur le parking Ikea où on élit domicile dans une Saab passée d’âge -selon lui, pour passer la nuit sur le tarmac d’un megastore suédois, « il suffit de savoir qu’on est à la rue comme les autres ».
Et puis il y a Alouette, Mésange, Chouette des Neiges et autres doux noms d’oiseaux dont Reginald affuble la mystérieuse K., muse et compagne, du genre à danser dans les très longs couloirs ou à s’échapper par la fenêtre de la salle de bains. Tout ce qu’on attend d’une bonne héroïne de roman, fût-elle dépeinte en creux, entre les lignes. C’est aussi ça, le talent du New-Yorkais Rick Moody (A la recherche du voile noir, Le Script), sur le fil entre rire et amertume: épouser l’apparence fragmentaire d’une époque si prompte au clavardage, ses côtes et ses codes, pour délivrer un précis d’ultra moderne solitude. Car ce livre ravive nos expériences passées et présentes: on en ressort avec un souvenir, comme ragaillardi par un matelas à mémoire de forme. Il y aura peut-être des miettes de pages dispersées sur le lit quand vous aurez fini de dévorer l’ouvrage. Car que demandons-nous à un hôtel, à un bon livre? « Le chez soi. Cet endroit particulier que vos ennemis souhaiteraient éviter, qui émeut encore vos anciennes amours (…) qui vous déchire le coeur. » Prière de ne pas déranger!
DE RICK MOODY, ÉDITIONS DE L’OLIVIER, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR MICHEL LEDERER, 240 PAGES. ****
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