ROMAN | Heureux lauréat du prix Wepler, Stéphane Audeguy s’invite en compartiment historique pour livrer sa version du roman aminalier.
Délaissant à l’occasion de ce cinquième roman Gallimard pour Le Seuil, Stéphane Audeguy renoue, avec son Histoire du lion Personne, avec le décrochage de prix littéraires. En effet, après une Théorie des nuages (2005)auréolée du Prix Maurice-Genevoix, un Fils unique (2006) vainqueur du Prix des Deux Magots, ses Nous autres (2009) puis le fragile Rom@ (2011) avaient laissé les jurés plus circonspects. Fin de la malédiction cette année, puisque ce n’est autre que le prestigieux Prix Wepler qui lui a été remis lundi 14 novembre, au moment même où l’Anguille sous roche de Ali Zamir en remportait la mention spéciale. Décidément, les animaux ont le vent littéraire en poupe depuis quelques temps: tandis que Jean-Baptiste Del Amo et son Règne animal donnaient la part belle, après les 180 jours d’Isabelle Sorente (2013), à l’élevage des porcs, après les personnages ursidés de Joy Sorman (La Peau de l’ours, 2014), Philippe Jaenada (La Femme et l’Ours, 2011) ou William Kotzwinkle (L’ours est un écrivain comme les autres, 2014) ou encore l’obtention du prix Orange pour Défaite des maîtres et possesseurs de Vincent Message (2016), Audeguy livre une histoire parallèle de la Révolution française, très personnelle, féline: celle d’un lion trimballé du Sénégal à Paris au moment du 14 juillet -un événement dont la narration se concentre en une ligne sobre, « Pendant l’été 1789, des humains s’agitèrent. »
Des quadrupèdes et des hommes
Face à cet animal, découvert lionceau par un empathique gamin dénommé Yacine ou Baptiste selon les locuteurs, puis domestiqué aux côtés d’un petit clébard jusqu’à ne plus pouvoir vivre dans son milieu naturel -ce qui donnera l’occasion d’une âpre et comique équipée de quelques pages dans la savane-, les alliés ne sont pas légion: des enfants, toujours (Yacine, Marie), ou de très jeunes hommes comme Jean Dubois, voire quelque ambassadeur éclairé (le très laid Pelletan, anti-esclavagiste lui-même en couple avec un Noir). Mais puisque c’est bien sur la « personne » de Personne que le récit se structure, les disparitions de tous ces passionnés bienfaiteurs se succéderont, toujours traitées elles aussi de manière lapidaire, tandis que l’animal et son Hercule de compagnon canin voyageront jusqu’à la capitale française en des temps diablement troublés.
Dans cette Histoire du lion Personne, le champ lexical de la pourriture, du dépérissement et des mauvaises odeurs domine largement, qui vient souligner d’un même trait le mauvais traitement réservé, à l’époque ou plus récemment, aux bêtes comme à certains hommes désignés inférieurs, et la moisissure du despotisme à l’heure du passage des billots à la guillotine. Le règne finissant n’empeste pas moins, à vrai dire, que les paysans miséreux, les hommes enchaînés et les bestioles affamées à fond de cale: « Une essence de peur, de détresse et de solitude, des relents d’urine et de merde, de sueur aigrelette, des vapeurs mystérieuses et rancies. »
Sous le double patronage d’Homère et de La Fontaine, dressant un parallèle entre le roi des hommes et celui supposé des animaux, Audeguy s’essaie ainsi, dans un bref roman, à transposer à une autre époque l’aventure intemporelle des lâchetés humaines, de la supériorité auto-proclamée et d’un progressisme sinon absent, bien mal partagé. Une entreprise périlleuse dont il se tire haut la main.
DE STÉPHANE AUDEGUY, ÉDITIONS DU SEUIL, 224 PAGES. ***
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