Critique | Livres

Le livre de la semaine: Football, de Jean-Philippe Toussaint

Jean-Philippe Toussaint © Roland Allard
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

Jean-Philippe Toussaint surprend avec une élégante suite de microrécits auto-biographiques. Où le football est un formidable conducteur de littérature.

Faire ses adieux à son père, en finir avec l’écriture d’un cycle romanesque qui l’aura occupé plus de dix ans (Faire l’amour, Fuir, La Vérité sur Marie et Nue composeront, de 2002 à 2013, la tétralogie Marie Madeleine Marguerite de Montalte): début 2014, Jean-Philippe Toussaint est en pleine crise d’inspiration et de doute existentiel. C’est le moment pour lui de suspendre la fiction, et de travailler à Football: le petit livre de 128 pages est à rattacher à cet ensemble de textes hybrides, autobiographie (Autoportraits à l’étranger, en 1999) ou essai sur l’écriture (L’Urgence et la Patience, en 2012), qui dessinent, en marge de la production romanesque pure de l’écrivain, une seconde veine (inspirante, et éclairante) de l’oeuvre.

Feinte

Le livre de la semaine: Football, de Jean-Philippe Toussaint
© DR

Le football, motif littéraire? La posture a forcément de quoi déconcerter. Toussaint s’en amuse dès la préface, faussement lucide ou vraiment ironique: « Voici un livre qui ne plaira à personne, ni aux intellectuels, qui ne s’intéressent pas au football, ni aux amateurs de football, qui le trouveront trop intellectuel. Mais il me fallait l’écrire, je ne voulais pas rompre le fil ténu qui me relie encore au monde. » Comme dans le très bref et réussi La Mélancolie de Zidane paru il y a neuf ans, l’auteur de La Salle de bain cherche ici à réconcilier le sacré et le profane. Hybride, le livre l’est jusque dans sa forme, composé dans une première partie d’un lexique subjectif qui, fait inédit chez l’écrivain, va puiser dans les souvenirs d’enfance (« émerveillement », « stades », « les maillots », « avenue Louise », « saisons »… ) puis d’une seconde partie faite d’entrées davantage chronologiques, qui suivent le fil des Coupes du Monde -de la France en 1998 au Brésil en 2014- que le romancier s’en est allé couvrir (pour son bon plaisir mais aussi, entre autres, pour Libé). Construit de la sorte, Football dessine une suite de récits de voyage délicieux, succession de minuscules autres autoportraits à l’étranger tour à tour poétiques (les pages merveilleuses sur le Japon, contrée à laquelle le romancier consacre sans surprise la plus grande part: belge, Toussaint est décidément japonais) et désopilants (Toussaint et son usage inattendu, génial, des parenthèses). Les pique-niques improvisés sur le lit de ses hôtels nippons, ses arrivées prématurées au stade, une photo le voyant poser enfant avec son grand-père lituanien, les incompréhensibles comptes rendus des matchs à la radio japonaise, la préparation de son mariage, le squattage d’une petite cabine de commentateur au stade de Kobe: il y a du Jacques Tati dans ces lignes, mais aussi, forcément, un geste hautement proustien. Puisque l’enjeu du football n’existe que dans le présent (il suffit de penser au peu d’intérêt que représente la rediffusion d’un match), toute tentative d’écrire le ballon rond est dès lors vouée au dépassement et à la sublimation -celle que permettent les nourricières obsessions d’un écrivain. Chez Toussaint, donc, le foot réveille l’enfance, le rêve, les images d’un ciel changeant, la matière volatile du souvenir. Chez lui les stades sont des appels à l’élégie, les Coupes du monde des brèches sur l’immuable et la retransmission aléatoire des matchs au fin fond de la Corse prétexte à des visions sublimes. D’ailleurs, il l’avoue page 89: il commence à en « avoir un peu marre, du football ». Commencent alors quelques pages magnifiques où l’écrivain, citant le philosophe Georges Didi-Huberman, vient interroger sa raison d’être au monde. Qu’est-ce qu’écrire aujourd’hui? Quelle place pour les lumières de la littérature face à celles, écrasantes, rasantes, indéniables, des projecteurs du stade? Il s’agit, selon Toussaint, de proposer « dans un acte de résistance non pas modeste, mais mineur, un signal -un livre, une oeuvre d’art- qui émettra une faible lueur vaine et gratuite dans la nuit ». Edifiant usage du mode mineur.

RÉCITS DE JEAN-PHILIPPE TOUSSAINT, ÉDITIONS DE MINUIT, 128 PAGES.

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