Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Défaite des maîtres et possesseurs, de Vincent Message

Vincent Message © Hermance Triay
François Perrin Journaliste

ROMAN | Après Les Veilleurs, Vincent Message propose un conte philosophique glaçant d’évidence, selon un principe simple: le retour forcé des humains au règne animal.

« Nous leur étions très supérieurs. L’ironie, c’est qu’ils avaient cru l’être, eux aussi, en leur temps, mais c’était dans leur cas au prix d’un aveuglement qui prenait avec la distance un aspect un peu pathétique. » Lors d’une session somme toute routinière au Parlement, des êtres de pouvoir s’écharpent, en rondeurs et coups bas, autour d’une problématique opposant pragmatiques productivistes et doux rêveurs soucieux d’améliorer les conditions de vie et d’élevage, voire d’allonger la durée de vie tolérée… des humains.

Dans ces modernes Lettres persanes, mâtinées de Micromégas, Vincent Message se demande, avec un naturel désarmant, ce qu’il adviendrait si une peuplade extraterrestre froidement rationnelle, humanoïde mais largement plus costaude que les êtres humains, débarquait un jour sur un coin perdu de la Terre. Quelles décisions ressortiraient de leur observation de nos moeurs et coutumes? Que feraient ces Pilgrim fathers aliens de leur victoire, immédiate et aisée, sur l’espèce actuellement dominante, hissée au sommet de la pyramide à force de démolition des écosystèmes?

Les êtres « améliorés » de Vincent Message -baptisés « Démons » décident ici, assez logiquement, de nous rendre, sans ménagement, au règne animal dont nous feignons d’être dissociés. Et trient notre espèce en bêtes de somme, humains de compagnie ou d’élevage selon une vision purement fonctionnaliste, développant les mêmes mépris, condescendance ou cruauté que nous-mêmes en fonction des usages.

Bio-perversité

[Le livre de la semaine] Défaite des maîtres et possesseurs, de Vincent Message

Bien conscients que notre supériorité auto-décernée sur les autres espèces se fonde essentiellement sur notre capacité à nommer et à classifier le réel, ils s’attachent en premier lieu à nous priver du langage pour mieux nous traiter en simple matière: comment imaginer, même aux portes des abattoirs, la souffrance d’un être qui ne parle pas? Malo Claeys, le narrateur « Démon » qui raconte ici son histoire, en sait quelque chose, lui qui a occupé longtemps la fonction de contrôleur des unités d’élevage humain, coincé entre le marteau des normes et les âpres réalités d’agriculteurs paupérisés.

Tandis que son peuple sombre progressivement, à l’instar de ceux auxquels il s’est substitué, dans une suffisance de triomphateur qui fait tourner vinaigre sa belle sagesse initiale, et que quelques rebelles humains s’organisent à l’ombre, Malo effectue le chemin inverse. Situé en première ligne pour constater l’ampleur du massacre, l’ancien témoin des charniers industriels se prend d’affection, sinon d’amour, pour une humaine d’élevage, qu’il tentera de faire passer pour bête de compagnie, tant est marquée la disjonction absurde des traitements respectifs de ces deux catégories.

Il accédera, aussi, au Parlement pour tenter de faire évoluer, utopiste qu’il est devenu, le droit humain: « Maintenant que je n’ai plus de plaisir à dominer, que j’en éprouve même une forme de honte, je me rends compte que j’ai trop longtemps laissé cette passion-là me tenir […] nous ne pouvons plus nous dire meilleurs que les hommes ou supérieurs à eux, puisque nous les avons suivis avec docilité dans leurs erreurs les plus monumentales« , constate-t-il. Ce roman troublant, splendide, aux soubassements actuels s’il en est, s’attache à analyser comment mauvaise foi et cécité volontaire mènent, forcément, au pire.

DE VINCENT MESSAGE, ÉDITIONS DU SEUIL, 304 PAGES.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content