ROMAN | Avec Les Douze tribus d’Hattie, Ayana Mathis signe un roman hors du commun. Et c’est un premier roman!
1925: Hattie a 16 ans et quitte la Géorgie en compagnie de sa mère et de ses deux soeurs. Elles fuient l’irréparable, le racisme virulent des Etats du Sud qui a coûté la vie à son père. Toutes trois se réfugient à Philadelphie où il est plus commode d’être noir. C’est la jeune fille qui tire le fil rouge du récit, mais en le dévidant en creux à travers sa progéniture: onze enfants dont neuf survivants à élever. Au terme du roman, à 70 ans, harassée par son travail de mère qu’elle assume seule, elle accueillera encore sa petite-fille comme le douzième membre de la tribu Shepherd.
Une vie empreinte de sacrifices…
Enceinte à 17 ans, Hattie épouse un homme qu’elle méprise et qu’elle n’a plus jamais su aimer depuis que ses bébés jumeaux sont morts dans ses bras par manque d’expérience, par naïveté, par solitude alors que la pénicilline aurait pu les sauver. Hattie l’ignorait. Alors, traumatisée, elle devient le « général » de la famille, elle sanctionne, nourrit, nettoie et soigne. Très tôt, elle a été « accaparée par la nécessité de les nourrir, de les habiller et de les préparer à affronter le monde. Le monde n’aurait pas d’amour à leur offrir. » Elle non plus. Chaque jour la confronte à Floyd, son fils musicien errant, homosexuel sur lequel crache le public du Sud où il persiste à jouer; à Six, un autre fils embrigadé par des évangélistes sans scrupules; ou encore à Cassie, sa fille devenue folle qu’elle devra faire interner. Chaque jour, c’est un lot de souffrances qu’elle affronte, fière et dure, car elle n’oubliera jamais ses origines que des Blancs ont voulu effacer.
Elle est infaillible devant la tentative de suicide de sa fille Bell, désemparée et résignée quand elle devra « donner » l’un de ses bébés à sa soeur, faute de pouvoir le nourrir. Forte, indépendante et sauvage, elle refuse l’aide de la religion très présente voire envahissante dans sa communauté et quand son mari, malade, se convertit, elle reste inflexible: Dieu lui a déjà pris trop d’enfants. Aussi lui pardonne-t-on aisément le petit écart qu’elle s’est permis à un moment douloureux de son existence car elle en assumera entièrement les conséquences. Elle aurait peut-être pu vivre heureuse auprès de celui qu’elle a désiré quelques fois mais elle a choisi de rejoindre la tribu et de redevenir la mère nourricière. « Rien n’est réglé mais elle est de retour. »
Les douze chapitres du roman couvrent un demi-siècle de l’Histoire de la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Et sur ce fond douloureux resplendit ce personnage bouleversant, incapable de tendresse. Une écriture vraie, dure, lucide: 311 pages de bonheur absolu.
- Les Douze tribus d’Hattie, d’Ayana Mathis, traduit de l’américain, éditions Gallmeister, 311 pages.
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