Critique | Livres

Le feu est la flamme du feu, rêve illimité

Jérôme Orsoni © DR
François Perrin Journaliste

Jérôme Orsoni signe un recueil de nouvelles hanté par la crainte de passer à côté de quelque chose… Quitte à ne vivre qu’en filigrane.

Pour pénétrer l’univers intelligemment torturé de Jérôme Orsoni, mieux vaut se sentir prêt à dépasser le vernis irritant qui englobe le quotidien de son narrateur -érudit désocialisé, visiblement incapable de quitter Saint-Germain-des-Prés. Ses parcours sous cloche, son égocentrisme total, certaines de ses tournures à la limite de l’ultra-préciosité, les longues heures qu’il passe à s’agiter le bocal tandis que sa femme travaille pour payer les factures… Autant d’éléments qui, à première vue, pourraient pousser le lecteur à prendre sans attendre ses jambes à son cou. Ce qui serait dommage, pourtant, tant la grande majorité de ces quinze nouvelles propose de futées pistes de méditation/divagation sur le statut de l’artiste, de l’écrivain, voire du post-adolescent à grosse tête perdu dans les contingences de la vie d’adulte. Rentré de vacances plus tôt que sa famille pour travailler son grand oeuvre, notre gaillard déniche un couple d’on ne sait quoi au juste, aussi miniature que tonitruant, planqué entre deux lattes de son parquet. Tous les matins, il salue le cafard qui a élu domicile sur le mur de sa chambre, et qu’il a baptisé Gustave plutôt que Franz -comme Kafka- parce qu’il « n’aime pas la littérature« . Et ainsi de suite. Faisant feu de tout bois absurde pour introduire des réflexions iconoclastes sur la littérature, voire la création, il passe volontiers pour un aliéné -dans le discours duquel on trouve pourtant toujours quelque chose de sensé à retenir.

Prises de choix

Le feu est la flamme du feu, rêve illimité

Auteur de Des monstres littéraires (2015) puis de Pedro Mayr (2016), qui tournaient ouvertement autour des mêmes questions, Jérôme Orsoni tient un blog expérimental, Papier esthétique, quand il ne publie pas des essais sur la musique ni ne traduit les entretiens de John Cage sur Duchamp (Rire et se taire, Allia, 2014). C’est d’ailleurs l’irruption de Cage dans l’un des rêves de son narrateur qui provoque chez ce dernier, toujours prompt à disséquer au réveil les divagations nocturnes de son cervelet, une réflexion intéressante sur la tension entre sa paisible vie de couple et sa focalisation forcenée sur de grands espoirs vains. Quand il n’est pas assailli par une mystérieuse ombre, estomaqué par ce que semble lui souffler à l’oreille la disparition sous un nuage de brume de la Tour Eiffel dans le ciel parisien, il tente de comprendre la logique de sélection qui fait disparaître certains de ses objets quotidiens dès qu’il les touche. Ou décide de rester au lit par peur du monde extérieur. Ou s’enfuit plutôt dans la rue, choqué par un passage de 2666 de Roberto Bolaño, pour y croiser des passants dont il rejette avec pédanterie les silencieux appels avant de décider de les embrasser mentalement. Il s’imagine brûler les livres de la maison d’édition qui l’accueille, ou bien devenir clochard, ou s’interroge sur les hommes de lettres malades du séant à force de s’asseoir dessus. Ses amis sont des ectoplasmes, ou des poètes rétifs à l’idée de « figer [leur] pensée par écrit« . Il agace terriblement, mais au-delà de ses postures on se demande, aussi, si à force de balancer ses lignes au jugé, il ne parvient pas souvent à remonter quelques prises de choix. Question à laquelle ce livre répond, positivement.

DE JÉRÔME ORSONI, ÉDITIONS ACTES SUD, 176 PAGES. ***

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