Critique | Livres

Laurent Mauvignier, lauréat du prix Goncourt 2025: voici ce que nous avons pensé de son livre «La Maison vide»

Dans La Maison vide, Laurent Mauvignier débusque les fantômes de son arbre généalogique.

Laurent Mauvignier

La Maison vide

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Laurent Mauvignier a reçu ce mardi le prix Goncourt pour son roman «La maison vide», applaudi par les critiques et les lecteurs.

Laurent Mauvignier a reçu le prix Goncourt pour son roman «La maison vide.» Les 10 jurés de l’Académie Goncourt se sont réunis à la mi-journée à Drouant, célèbre restaurant proche de l’Opéra à Paris, pour se mettre d’accord sur le nom du lauréat du plus illustre des prix littéraires français.

Les derniers candidats en lice étaient Nathacha Appanah avec «La nuit au coeur» (Gallimard), lauréate du prix Femina ce lundi, Emmanuel Carrère avec «Kolkhoze» (P.O.L), Laurent Mauvignier avec «La maison vide» (Minuit) et la Belge Caroline Lamarche pour «Le bel obscur» (Seuil).

LIVRES / ROMAN

La Maison videde Laurent Mauvignier

Les éditions de Minuit, 752 p.

La cote de Focus: 4/5

Tout commence le jour où le narrateur, double à peine fictif de l’auteur, part à la recherche de la médaille de la Légion d’honneur de Jules, son arrière-grand-père et héros de la Grande Guerre, dans la maison familiale du hameau fictif de La Bassée. Il a beau fouiller partout, il ne la retrouve pas. Il exhume en revanche d’autres breloques, photos jaunies et bijoux de ses aïeux qui l’entraîneront dans un long (750 pages!) voyage immobile à travers le temps, sur les traces des fantômes perchés sur son arbre généalogique.

Une enquête dans les replis de la mémoire s‘étalant sur trois générations dont l’ampleur rappelle un certain Marcel Proust. D’autant que, comme son illustre prédécesseur, l’auteur du remarquable thriller Histoires de la nuit, ici au sommet de son art, laisse vagabonder sa pensée sans fil conducteur, sans intrigue autre que le souci de ressusciter un monde englouti, «ignoré de nous-mêmes», en entremêlant reconstitution documentaire et pure invention romanesque. L’ombre de Flaubert et de Zola plane aussi sur cette introspection pudique portée par une voix ample et sinueuse comme un fleuve majestueux reflétant mille nuances. Le hasard faisant bien les choses, l’un des personnages centraux de cette enquête intime hors norme, à savoir son arrière-grand-mère Marie-Ernestine Chichery, est née… Proust. Pas de lien de parenté avec l’autre, mais la coïncidence est tout de même troublante.

S’appuyant sur les vestiges abandonnés dans La Maison vide (un foulard jaune, une vieille commode ébréchée, un antique piano), l’écrivain reconstitue les pièces d’un puzzle de la bourgeoisie provinciale moins banal qu’il n’y paraît à première vue. Déjà, il y a ce mystère: pourquoi sa grand-mère Marguerite a-t-elle été systématiquement défigurée sur les photos, à coups de ciseaux ou de gribouillages rageurs? Comme une tentative de l’effacer de la mémoire. Tout se tient pour Laurent Mauvignier qui pressent que la violence du geste de son père, suicidé en 1983, trouve son origine dans ce passé trouble. C’est même l’un des fils rouges de son entreprise: «Et moi, à l’autre bout du XXe siècle, déjà embringué dans le suivant sans même avoir eu le temps de le croire, me voilà aujourd’hui embrassant cette histoire d’un seul coup d’œil, avec, étalée devant moi, l’évidence qu’il s’agit d’une seule et même histoire diffractée en différentes parties reliées par une unité souterraine.»

Du XIXe siècle jusqu’aux années 1940, il rassemble les éléments biographiques, s’intéresse surtout aux femmes, dont il prend le pouls émotionnel à différents moments clés et souvent tragiques de leur vie: aspirations contrariées, avortement, déshonneur, mariage arrangé… Des parentes broyées par l’histoire: la grande, avec ces deux conflits meurtriers balafrant l’album de famille, et la petite, plus silencieuse mais pas moins destructrice, qui s’est écrite à l’encre du patriarcat. De l’intime mais à haute valeur universelle et politique.

A contre-courant de l’urgence qui domine notre époque agitée, ce métaroman sans véritable héros parie sur le temps long. Il faut accepter de s’abandonner pour en pénétrer les sous-couches narratives. Si on s’arrête toutes les deux minutes pour scroller sur son smartphone, c’est peine perdue. Mais les plus déterminés seront largement récompensés: ils vivront une expérience de spiritisme littéraire fascinante.


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