François Bégaudeau, éditions Gallimard/Verticales
L'Amour
96 pages
Au début des années 70, Jeanne consigne ses premiers émois amoureux dans son agenda La Redoute. Ceux-ci demeurent sans suite mais, comme elle le dit souvent, “on se fait à tout”. Aussi, lorsque Jacques, juché sur sa 103 et flanqué de son chien, lui propose une balade en forêt, Jeanne ne dit pas non. “Les cockers on leur donnerait le bon Dieu sans confession.” Après avoir pratiqué toutes les chambres de l’hôtel où Jeanne travaille de nuit, vient le moment de la présentation aux parents: “Avec le rôti, il y a des haricots ou des patates, c’est comme on veut.” Lors de la cérémonie de mariage, Jeanne acquiesce une nouvelle fois et, en plus du frigidaire, les tourtereaux reçoivent un bon d’achat chez Monsieur Meuble. Plus tard, la famille s’agrandit, les sorties se font plus rares, l’amour, lui, ne passera jamais. “Souvent Jacques énerve Jeanne à ne rien dire alors qu’il n’en pense pas moins. Et Jeanne énerve Jacques à lui demander à quoi il pense. Est-ce qu’on sait à quoi on pense?” Sertie en 90 pages, voici toute l’histoire des époux Moreau, duettistes de cœur, et c’est un tour de force. À la manière de la chanson Brandt Rhapsodie de Jeanne Cherhal et Benjamin Biolay, François Bégaudeau croque une vie de couple qui défile, sans heurt mais au plus près du réel, avec une concision et une justesse remarquables. Dans une France où les téléphones sont à touches, les mouchoirs en papier et les baguettes tradition, cette novella se dévore d’une traite et se referme avec une poussière dans l’œil. “Bientôt on est à l’hôpital comme chez soi.” Une pépite.
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