Même reconnu au-delà de la profession -Jacques Audiard et Céline Sciamma travaillent à une adaptation de ses récits-, Tomine reste un grand anxieux.
Ce n’est un secret pour personne, la vie d’auteur de bande dessinée est, pour la plupart, une longue tartine de merde, faite de solitude, de panne d’inspiration et de dèche financière. Au travers de tranches de vie plombantes, Adrian Tomine ne nous a jamais menti sur la marchandise. Depuis ses premières auto-publications dans son comic Optic Nerve, il a toujours été clair: la vie est dure, que l’on soit un adolescent coincé dans une banlieue moche, mal avec lui-même et incapable d’interagir avec les autres, ou un jeune adulte se débattant avec la vie professionnelle, sentimentale ou raciale dans une Amérique blanche. Il se dégage de ses histoires une mélancolie tenace. S’il ne s’est pratiquement jamais représenté lui-même, l’autobiographie n’est pas loin. L’humour non plus, mais ce n’est pas ce qui vient à l’esprit de prime abord. Mis à part Scènes d’un mariage imminent faisant la chronique de son union avec sa future femme et qui relève plus du vade-mecum de l’organisation d’un mariage réussi que d’une véritable histoire (il était au départ destiné à être offert aux convives), Tomine n’a jamais fait dans la gaudriole. La Solitude du marathonien de la bande dessinée marque, si ce n’est un tournant dans sa carrière, au moins une respiration humoristique.
Rire, mais rire jaune
De manière chronologique, l’auteur nous fait le décompte de toutes les mésaventures auxquelles il a été confronté, mais que pourrait rencontrer n’importe quel auteur de BD ou créateur incompris dans sa relation avec son public et le reste du monde. Et ça commence tôt, à la maternelle où le moindre prétexte est bon pour vous exclure, vous battre ou se foutre de votre gueule malgré vos talents indéniables pour le dessin. Cela ne s’arrête visiblement jamais: premières séances de dédicace où il n’y a pas un chat, festival BD bondé sauf à l’approche du stand de son éditeur, interview foireuse avec une journaliste, remise de prix par son idole qui écorche son nom (un running gag), grosse rencontre dans une grande librairie où il y a foule, mais manque de pot, c’est pas pour lui. Le fil conducteur est la relation entre le fantasme et la réalité: le ressort comique émane de la confrontation des deux. On s’est tous fait des films qui se sont révélés, au mieux à côté de la plaque, au pire super gênants. C’est souvent douloureux, mais on rit (jaune) beaucoup. Sans être du métier, on s’identifie une fois de plus à ses personnages, à son alter ego de papier ici en l’occurrence. Finalement, Tomine ne semble retenir de sa carrière que ses gaffes et autres petites humiliations. Par une nuit d’angoisse, il s’est décidé à les consigner dans un petit carnet que les éditions Cornélius ont eu l’excellente idée d’éditer sous cette forme, quadrillage et fausse notice écrite à la main compris. Au moins, les malheurs de l’un font le bonheur des autres.
La Solitude du marathonien de la bande dessinée , d’Adrian Tomine, éditions Cornélius, 170 pages. ****
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