La littérature au chevet de l’écologie
Et si la littérature était à l’avant-garde de la prise de conscience écologique? La preuve par cette convaincante étude de Sara Buekens, docteure en littérature française. Ecologie et littérature, une alliance qui se poursuit encore plus vivement aujourd’hui.
Qu’est-ce que la littérature? A cette question classique et intimidante à force d’être abstraite, posée tour à tour par Alphonse de Lamartine, Charles Du Bos et Jean-Paul Sartre, le critique littéraire Antoine Compagnon en a substitué une autre, dans le même registre, mais autrement plus vivante, plus concrète, plus provocante, et plus incisive: « la littérature, pour quoi faire? ». Dit autrement: que peut la littérature?
C’est une éclairante et surprenante réponse que nous offre Sara Buekens, docteure en littérature française, dans son livre Emergence d’une littérature environnementale (1). Convoquant l’oeuvre de cinq auteurs français de renom de la deuxième moitié du XXe siècle, Romain Gary, Pierre Gascar, Julien Gracq, Jean-Marie Gustave Le Clézio et Jean-Loup Trassard, elle démontre le rôle, précurseur et décisif, qu’a pu jouer la littérature dans la prise de conscience écologique. « Contrairement à la scène politique et aux débats sociétaux des années 1950, 1960 et 1970, qui se préoccupent peu de la dégradation de la nature, le monde littéraire voit l’émergence d’une constellation d’auteurs qui expriment leur attachement à l’environnement naturel et rendent visibles, dans leurs romans et récits, les problèmes écologiques déjà largement présents à cette époque », fait-elle observer.
Il est vrai, en effet, que le monde politique ne s’empara de la question climatique et environnementale qu’à partir des années 1960-1970 – et il faut bien avouer que le champ scientifique n’était pas en meilleure posture. Rappelons à ce titre que ce n’est qu’en juin 1972 qu’eut lieu la première conférence mondiale sur l’environnement de l’Organisation des Nations unies, qui s’est conclue par la mise en oeuvre du Programme des Nations unies pour l’environnement.
Romain Gary, lanceur d’alerte
Pendant ce temps, alors que le monde politique balbutie ses premières propositions, la littérature affiche une lucidité insolente au sujet de la question climatique. Certes, on n’y retrouve encore que des esquisses. Mais les fondamentaux sont bien là. En effet, dès les années 1950-1960, lesdits cinq « auteurs environnementaux », « questionnent le monde naturel et témoignent d’un intérêt pour les questions relatives à l’écologie, comme la pollution de l’air et la pollution marine, la disparition des espèces végétales et animales, la menace nucléaire, le réchauffement climatique, la destruction des paysages causée par l’exploitation des ressources naturelles, les déséquilibres biologiques provoqués par des organismes génétiquement modifiés, mais aussi pour l’industrialisation forcée des pays du tiers monde et l’impact psychologique de la vie industrialisée sur l’être humain », explique Sara Buekens.
Parmi les nombreuses oeuvres qu’elle met en exergue, on retiendra Les Racines du ciel, parue la première fois en 1956, où Romain Gary alerte sur le problème de la protection des éléphants en Afrique-Equatoriale française et où le terme « écologie » – quasi inconnu à l’époque – trouve tout de même quatre occurrences. Aussi, Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq, souvent réduit à un roman noir à dimension surréaliste, est pourtant une oeuvre où la dialectique entre l’être humain et l’environnement est évidente. « Gracq donne à voir que le monde naturel et sa transformation cyclique exercent une influence importante sur les sentiments et l’état psychologique des hommes, tout comme le comportement et le mode de vie humains sont largement conditionnés par l’environnement naturel. »
Il est vrai que la sensibilité écologique de certains de ces auteurs, principalement Romain Gary, et dans une moindre mesure, Julien Gracq, est aujourd’hui reconnue et assez bien documentée. En revanche, on doit savoir gré à Sara Buekens d’exhumer des auteurs tombés dans l’oubli et chez qui l’on n’a jamais soupçonné une conscience écologique. C’est principalement le cas de Pierre Gascar, fort peu lu et commenté aujourd’hui, qu’on redécouvre dans ce livre réhabilité et hissé au rang de précurseur d’un « discours écologique scientifique en littérature ».
Plus d’un demi-siècle après ces précurseurs, quid de la place de l’écologie dans la littérature aujourd’hui? La brèche qu’ils ont percée a-t-elle été dignement explorée? Oui, les Gary, Gracq, Gascar et compagnie ont de dignes héritiers. Ils s’appellent Serge Joncour, Emmanuelle Pagano, Jean-Baptiste Del Amo, ou encore Alice Ferney. Le flambeau est entre de sûres et vigoureuses mains.
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