Suite et fin du périple halluciné de Nicolas de Crécy et de son cousin en Turquie, à bord de leur Visa Transit, au moment de la catastrophe de Tchernobyl.
Nous n’aurions peut-être pas eu la chance de lire un des plus beaux récits de voyage de la bande dessinée: Nicolas de Crécy était sur le point d’abandonner la BD. C’est alors que nous arrive cette histoire de celui qui a toujours été un auteur à part dans le monde du neuvième art. En trois décennies, il a développé une oeuvre singulière et originale faite de personnages étranges, décalés et inadaptés, évoluant dans un univers urbain inquiétant, écrasant.
Visa Transit apparaît un peu comme l’aboutissement de son oeuvre. On y retrouve les grands thèmes développés dans ses précédents albums, comme cette continuelle fuite des grands centres urbains. Dans leur périple, Nicolas de Crécy et son cousin ne s’arrêtent jamais très longtemps dans les villes, bien conscients de passer à côté de monuments emblématiques. L’auteur n’en restitue que des détails architecturaux ou chromatiques. Ce qui lui restera d’Ankara? Une ville aux façades blanches, couverte de bougainvilliers mauves, découpés sur un ciel bleu. Les deux voyageurs se sentent non pas comme des explorateurs, mais plutôt comme des personnages incongrus dans l’oeil des autochtones. L’inverse est également vrai, les voyageurs étant surpris par la circulation anarchique sur les routes turques, ou par les vendeurs de tapis surgis de nulle part dans le petit matin blême. Le son est également omniprésent dans l’oeuvre decrécyenne et, durant ce voyage, l’auteur est continuellement à l’écoute des bruits ambiants: le vrombissement si particulier de la Citroën, mais aussi les sonorités délicates du quotidien des villages, qui rassurent et apaisent.
La plume et le pinceau
Ce qui frappe ici par rapport au reste de la production de de Crécy est la facture plus classique du récit: la chronologie du voyage est respectée, seulement ponctuée de quelques souvenirs de jeunesse et de voyages postérieurs. La poésie y est aussi présente. Rappelons que les deux compères ont embarqué avec eux une petite bibliothèque de poètes et que le fantôme d’Henri Michaux monté sur une puissante moto leur colle aux basques. Visa Transit est également une somme de très belles réflexions sur le récit, sur le souvenir et le moyen de les retranscrire sur papier. Nicolas de Crécy ne s’encombre pas de vérités, il nous livre son histoire comme elle lui vient et y colle d’autres souvenirs qui lui passent par la tête. Cette fois, ce seront les pires nuits qu’il aura passées dans sa vie de bourlingueur.
Sinon, que dire qui n’a pas déjà été dit du dessin du maître de la couleur. L’auteur est aussi à l’aise dans les ambiances lumineuses des journées écrasées par un soleil de plomb que dans les nuits sombres au milieu des montagnes enneigées. Il invoque Turner pour ses couchers de soleil et emprunte à ce dernier sa palette d’ocres, de jaunes et de rouges. Il réussit la prouesse de transformer la rouille qui recouvre leur véhicule en tableaux de maître du XXe siècle et rapproche cette déliquescence des expériences de désintégration sous mescaline de Michaux. Du grand art!
Visa Transit (tome 3)
Récit de voyage. De Nicolas de Crécy, éditions Gallimard, 152 pages. ****(*)
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici