D’un album a priori peu sexy, qui parle de maladie et de transit, se dégage une force digne des Idées noires de Franquin.
Le pitch est simple: après des années de malbouffe, de clopes et d’alcool, notre ami Pozla est pris de crampes insupportables, et de plus en plus fréquentes. Le verdict ne tarde pas à tomber: c’est grave et il va falloir enlever une partie de l’intestin. Consommateur régulier de cigarettes qui font rigoler, le malade ne réagit pas aux antalgiques censés le soulager des douleurs post-chirurgicales. Le seul remède plus ou moins efficace reste le dessin. Pratiqué de manière quotidienne, il agit comme une hypnose, lui permettant de déconnecter son esprit de son corps. Le résultat est la bande dessinée que vous devriez tenir entre les mains. Si, chronologiquement, le carnet a été commencé après l’opération, le récit débute bien avant. Il retrace les années d’hygiène de vie lamentable, les visites chez des médecins plus ou moins compétents et l’angoisse qui ne fait que croître à force de postposer les consultations. Il décrit également la vie quotidienne à l’hôpital et la -très- longue revalidation à la maison. Ajoutons également que l’auteur est jeune papa; quelques mois séparent l’accouchement de l’opération et il s’avère que sa chère et tendre est un parangon en termes de production d’étrons parfaits; on va d’ailleurs vite s’apercevoir que cette femme est un modèle pratiquement en tout, une espèce de superwoman, à la fois maman, cuisinière et garde-malade patiente.
De la merde au chef-d’oeuvre
Rarement le dessin, la maquette et le scénario d’une bande dessinée ont été si parfaitement complémentaires. Et rarement un auteur a aussi bien réussi à nous émouvoir et à nous faire rire à la fois -une prouesse avec un tel sujet d’ordre médico-scatologique. Là où le dessin a ses limites, les descriptifs ou les dialogues prennent le relais, et inversement. Le trait nerveux à la plume est ponctuellement relevé de couleurs soulignant admirablement les sentiments qui animent le pauvre Pozla. Le rouge explose pour décrire la douleur insoutenable. Le noir pour souligner les moments de détresse. Le dessin est à la fois descriptif et allégorique: la représentation des médecins gastro-entérologues en secte obscure digne des adeptes de Kih-Oskh dans Les Cigares du pharaon est particulièrement bien trouvée. Régulièrement, des corbeaux débonnaires gravitant autour de l’hôpital analysent le récit et y vont de leurs commentaires bien sentis sur le corps médical et sa clientèle.
Pozla nous vient du graffiti, de la peinture et du dessin animé, ce qui nous prouve que les ponts entre les différentes disciplines peuvent être très rafraîchissants dans l’univers fortement codifié de la bande dessinée. Un auteur qui, en tout cas artistiquement, pète la forme!
De Pozla, éditions Delcourt, 365 pages.
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