James Ellroy renfile les gants: “Marilyn Monroe, c’est juste une overdose de plus”

Dans son nouveau polar, James Ellroy replonge dans la moiteur trouble de l’été 1962. © Getty
Philippe Manche Journaliste

La mort de Marilyn Monroe en août 1962 hante Les Enchanteurs, le mélancolique et acide dix-septième roman de James Ellroy et troisième volume du Quintette de Los Angeles entamé par Perfidia et La tempête qui vient.

L’Américain de 76 ans sait très bien qu’il a révolutionné le roman noir avec une volée de chefs-d’œuvre (Le dalhia noir, L.A. Confidential, Ma part d’ombre, American tabloïd,…) et n’hésite donc pas à envoyer plusieurs mois en amont de la tournée promotionnelle qui accompagne Les Enchanteurs, ses consignes aux journalistes qui souhaitent le rencontrer. « Je ne discuterai en aucun cas de la politique ou de la culture américaine actuelle. Je ne parlerai en aucun cas de ma vie personnelle. Je ne parlerai en aucun cas des films tirés de mes livres », nous écrit-il en juillet dernier. Autant dire qu’on ne sait jamais vraiment à quelle sauce on sera mangé.

Pas de quoi crier au scandale pour autant. C’est son droit le plus strict et James Ellroy est loin d’être le seul. Quentin Tarantino a plusieurs fois recadré vertement des journalistes qui s’aventuraient sur un autre terrain que celui de l’actualité immédiate du cinéaste. Plus étonnant, par contre, on apprend innocemment, dans l’Eurostar qui nous emmène à Paris où l’auteur de White Jazz est l’un des invités du festival America à Vincennes, que ce dernier a remballé deux confrères après seulement quelques minutes. Et la voix nous suggère de ne pas commencer l’entretien en parlant de Marilyn Monroe. Ce qui est quand même hallucinant puisque le fantôme de Marilyn hante ce dix-septième roman de James Ellroy. Voici donc les principaux extraits d’un entretien intense, physique même et loin d’être inintéressant avec un homme qui, comme tout un chacun sans doute, n’est pas à un paradoxe près.

Marilyn Monroe hante ce 17e roman de James Ellroy © Getty

Quelle est l’idée motrice de ce nouveau roman ?

Je voulais écrire un roman populaire américain du début des années 1960. Comme les livres d’Harold Robbins avec The Carpetbaggers, The Adventurers ou The Inheritors ou ceux d’Irving Wallace et The Chapman report. Des titres de deux mots qui commençaient par un The. Il y avait aussi beaucoup de livres de poche sur le sexe, les call-girls, les gynécologues, les hôtesses de l’air,… Et bien sûr, le titre, Les Enchanteurs, est ironique et évoque l’enchantement factice de l’ère Kennedy de 1962.

C’est la folie. Jack est à la Maison Blanche et l’idiote Marilyn Monroe, pardonnez-moi, prend des pilules, boit et fait chier la 20th Century Fox. Alors que la 20th Century Fox est sur le point de faire faillite parce qu’elle met tout cet argent dans Cléopâtre avec Elizabeth Taylor qui se drogue, boit et fait des bêtises avec la covedette du film Richard Burton. Cléopâtre était irregardable à l’époque et il l’est encore aujourd’hui. C’est horrible. Et plus que tout autre chose, ce n’était pas le genre de film que l’Amérique voulait voir en 1962.

De mon côté, j’ai lu Les Enchanteurs comme un hommage à Moisson rouge, de Dashiell Hammett, paru il y a quasi cent ans et pierre angulaire du genre où la corruption est partout; de la presse à la police en passant par la classe politique…

C’est le cas, oui, oui. Les événements sont chaotiques. Des voyous opèrent sous couverture. Il y a un narrateur…

Vos premiers souvenirs de lecture, ce sont les magazines des années quarante quand vous aviez quoi, huit ou dix ans ?

Un peu plus tôt que cela parce que mes parents ont divorcé en automne 1955 et j’avais sept ans. Ils avaient un grand placard plein à craquer de magazines des années 40, du début des années 50. Dieu merci. Avant de savoir lire, je regardais les photos. Ensuite, je pouvais lire les histoires et surtout l’histoire, l’histoire (il répète le mot plusieurs fois- NDLR). Je vis dans le passé, vous savez tout cela, comme le fait que je ne possède pas d’ordinateur…

Le 4 août 1962, date où Marilyn Monroe décède, il fait une chaleur infernale à Los Angeles. Vous avez des souvenirs précis de cet été, canicule mise à part ?

J’étais diplômé en juin et je devais commencer le lycée en septembre. Pour me faire de l’argent de poche, j’étais livreur de journaux. Marilyn Monroe est morte un dimanche, on n’entendait que cela à la radio et ce dont je me souviens c’est que le lundi, les gens attendaient sur le pas de leur porte pour avoir le journal et lire l’histoire.

Finalement, Marilyn Monroe, c’est votre cheval de Troie pour explorer cette période précise ?

Bien vu, je vous remercie. Marilyn Monroe ne signifie rien pour moi; je l’ai dit un million de fois. Je ne l’aimais pas en tant qu’actrice et je n’ai jamais eu beaucoup d’estime pour elle en tant que femme mais je savais qu’un livre était là et j’avais raison. Je l’ai écrit.

© Getty

Vous voyez sa mort ou ce qu’elle représente comme une date charnière, la fin d’une certaine innocence avant l’assassinat de Kennedy, la guerre du Vietnam, Altamont, Charles Manson?

Tout ça, c’est du vent! Hollywood est rempli de cinglés! Monroe, c’est juste une overdose de plus.

Sans oublier votre sens de l’humour carnassier…

J’étais conscient qu’il fallait ajouter un peu d’humour et c’est pourquoi il est délibérément drôle et extrêmement blasphématoire. Marilyn Monroe et Jack Kennedy en cartes à jouer pornographiques que des collectionneurs pervers collectionnent, c’est drôle. Les Enchanteurs est un livre terriblement laid et profane qui nécessite une sacrée dose d’humour.

J’aimerais vous poser une question sur l’un de tous vos premiers romans, Un tueur sur la route…

(Il coupe) Ça dépend. Quelle est la question ? Posez la question, j’aviserai.

L’ambition de Martin Michael Plunkett, le narrateur du livre, est d’écrire l’autobiographie ultime et définitive du tueur en série qu’il est. C’était aussi votre ambition littéraire ?

C’est bien le seul de mes romans que je trouve épouvantable. C’est le seul que ma femme déteste. J’avais besoin d’argent, franchement. C’était donc un livre de poche original, et j’en ai tiré ce qui était bon pour moi à savoir une bonne somme d’argent. Je l’ai écrit en trois mois, et c’était ça, Un tueur sur la route mais je n’en ai rien à foutre. C’est vieux. C’est comme la trilogie Lloyd Hopkins. Brown’s Requiem ou Clandestin. Je m’en fous. Je m’en fous. Je m’en fous.

Vous êtes sérieux ?

C’est une carrière. Je ne veux parler que de ce livre Les Enchanteurs parce que c’est la raison de mon séjour en France. L’une des grandes qualités des journalistes culturels français, c’est qu’ils adhèrent aux règles de l’interview. Et ma règle, c’est que je ne parle pas de politique. Je ne parle pas de l’élection présidentielle. Je ne veux plus parler de ma vie privée ou du meurtre de ma mère. C’est tout. C’est terminé.

Tout ça me fait penser à un joueur de baseball nommé Denny McLain. Un grand lanceur dans les années 60 pour les Tigers de Detroit qui a pulvérisé tous les records. Il a passé six ans en prison et il a toujours prétendu qu’il n’était au courant de rien et il a écrit son autobiographie I Never Had It Made (qui est en fait le titre de l’autobiographie de Jackie Robinson, un autre joueur de baseball. Celle de McLain est intitulée I told you i wasn’t perfect –NDLR). C’est mon état d’esprit. Les Enchanteurs est un très bon livre et je suis ravi d’être ici en France mais dès le 7 octobre, je rentre chez moi pour écrire le prochain dont j’ai déjà tracé les grandes lignes. Il ne me restera plus qu’à me remettre du décalage horaire…

Un dernier mot autour de la mélancolique qui transpire de votre dernier roman. Elle fait écho à son époque ?

C’est vrai que c’est élégiaque. C’est une période révolue avec un Freddy Otash confronté à sa vie alors qu’il était un homme relativement jeune de 40 ans. Oui. En 1962, il a 40 ans. C’est aussi une vision tragique de la vie. Je suis chrétien et je crois que le monde est déchu. Je crois que seul Jésus peut nous sauver. Je suis triste pour le monde, mais très heureux pour moi-même. Mais je ne cherche pas à sauver le monde.

Le chaos et la discorde règnent partout dans les années soixante avec des gens qui pensent pouvoir s’en tirer à bon compte. La consommation de drogues explose dans la classe moyenne et la psychiatrie est en vogue. C’est ce que je raconte avec la relation inappropriée de Marilyn Monroe et son psychiatre. Et comme j’aime vivre dans le passé; j’entre dans l’ère de ma propre connaissance. J’ai pour mission d’écrire encore deux autres gros romans policiers qui ne sont pour la plupart que des romans populaires américains et mon quintette sera achevé. Ils se dérouleront tous les deux durant cette fameuse année 1962.

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