Huit romans qui font le pont entre foot et littérature
Fan de foot (il tacle régulièrement les petits et grands travers du milieu dans So Foot ou Le Monde), François Bégaudeau est entré en 2003 sur le terrain romanesque chaussures à crampons aux pieds. Jouer Juste est original dans sa forme (une longue phrase de 100 pages, tout juste ponctuée de virgules) comme sur le fond, les dernières recommandations d’un entraîneur à ses joueurs avant les prolongations d’une finale de Coupe d’Europe servant de tremplin à des digressions métaphysiques et des parallèles audacieux entre la vie de couple et la science du ballon rond. Le futur auteur de Entre le murs, s’il n’évite pas toujours le piège du hors-jeu rhétorique, démontre en tout cas déjà une habilité certaine pour les dribbles littéraires. (L.R.)
Comme en politique, l’Histoire du football est peuplée de personnages shakespeariens. Brian Clough est l’un d’eux. Héros à l’ancienne (caractère de cochon mais une intégrité à toute épreuve), ce manager anglais est devenu une icône au tournant des années 70 en décrochant avec l’obscur Derby County le titre de champion d’Angleterre. Un exploit qui allait le conduire à la tête de Leeds United, le club phare de l’époque. Mais la greffe échouera, son tempérament se heurtant à l’ego des joueurs et aux méthodes peu scrupuleuses des maquignons qui dirigeaient -déjà- le foot anglais. Le style viscéral et logorrhéique de David Peace transforme ce naufrage de 44 jours en épopée sulpicienne. (L.R.)
C’est LE classique de la littérature footballistique. Publié en 1992, ce roman largement autobiographique a définitivement prouvé que le ballon rond avait sa place sur les étagères des bibliothèques. L’auteur culte de High Fidelity y couche sur le divan sa relation amoureuse et obsessionnelle avec Arsenal, substitut dévorant aux carences affectives dont souffre le jeune homme, miné par le divorce de ses parents autant que par une forme d’incompatibilité avec le monde en général, et sa moitié féminine en particulier. Une confession aussi drôle que lucide. (L.R.)
Peu avant de publier son premier roman, Les Révolutions de Jacques Koskas, à la fin de l’été 2014, Olivier Guez signait, en amont de la Coupe du monde de football au Brésil, un Eloge de l’esquive consacré justement aux joueurs en maillot jaune et vert -dribbleurs de la trempe d’un Garrincha en finale de 1958. Essai bref, inspiré, où il faisait remonter l’art du dribble à une époque où les joueurs noirs ne pouvaient pas risquer d’abîmer la jambe d’un Blanc, le tout dans un pays où la figure du malandro, mauvais garçon issu du peuple, jouit toujours d’un certain respect. Esquiver, contourner l’obstacle, jongler plutôt que d’opter pour le frontal ou le tacle assassin: un art de (sur)vivre. (F.P.)
Photographe à l’origine, passionné par le travail de la langue au point d’étonner systématiquement ses lecteurs, Philippe Bordas s’était intéressé en 2008 avec Forcenés aux grandes figures du cyclisme, avant de proposer un copieux Chant furieux, consacré à la rencontre entre un photographe de « basse » extraction et la figure de héros moderne qu’incarne ou a incarnée Zinedine Zidane. Tentant une hybridation d’un parler populaire avec la belle langue académique, le roman se propose d’invoquer la chanson de geste pour raconter le plus grand joueur français de la fin du siècle dernier, et à travers lui les trajectoires contrariées de gamins de la rue. (F.P.)
Premier roman de John King et de la trilogie qu’il consacra aux hooligans (avec England away en tome final (voir critique page 40)), adapté au cinéma en 2004 par Nick Love, The Football factory présentait au public Tom et ses potes -dont le groupe de cinq qui tiendra l’affiche de La Meute-, hooligans de Chelsea affranchis de toute finesse lorsqu’ils voyagent en grappes. Roman davantage consacré à certains fans de foots (parmi les plus radicaux et paupérisés) qu’au sport à proprement parler, ce roman demeure une référence ultime, consacré publiquement par Irvine Welsh himself, qui n’est pas vraiment célèbre pour aborder ce type de sujets en dilettante. (F.P.)
Le football, c’est aussi l’arrête tranchante du fait divers. Stade du Heysel, le 29 mai 1985. Dans la foule qui se presse aux portes du « match du siècle » Turin-Liverpool, Laurent Mauvignier place ses pions de fiction, venus de France, de Liverpool, ou d’Italie. Passant de l’esprit échauffé des témoins à l’hébétude des victimes, le roman y décortique par leurs voix successives l’incompréhensible tragédie. Le lecteur, lui, est littéralement pris au piège de la cohue, violemment happé, presque étouffé par ces voix qui s’interrompent et se complètent, se contredisent. Un roman puissant, d’une maîtrise chorale époustouflante. (Y.P.)
« Voici un livre qui ne plaira à personne, ni aux intellectuels, qui ne s’intéressent pas au football, ni aux amateurs de football, qui le trouveront trop intellectuel. » Après le très bref La Mélancolie de Zidane en 2006, Jean-Philippe Toussaint revient non sans esprit sur une passion d’enfance continuée dans l’âge adulte. Proposition originale de réconciliation des mondes sacré et profane, réflexions légères et ironiques sur le temps qui passe, appel inattendu à l’élégie existentielle et à la quête du sublime, Football est en dernière analyse une profession de foi dans les pouvoirs de la littérature. Car Toussaint ne parle décidément pas du ballon rond comme tout le monde. (Y.P.)
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