Franz Bartelt, éditions Le Dilettante
Je ne suis pas malheureux
224 pages
Franz Bartelt assaisonne d’humour noir dix nouvelles tranches de vie saisies à feu vif. Régalade!
Depuis bientôt 40 ans, Franz Bartelt essaime tous azimuts: romans, théâtre, poésie, feuilletons. Remarqué notamment pour ses romans policiers gratinés d’humour noir (Hôtel du Grand Cerf), l’Ardennais excelle également dans l’art délicat de la nouvelle, dont il livre ici une remarquable floraison. Ébaubi ou médusé, le lecteur découvre une gamme d’accords mineurs sondant la France profonde, jetant l’hameçon dans le vide d’existences noyées en eau douce ou dans la bière. Passés au tamis de la satire se déposent les alluvions de vies embusquées, ballottées par le ressac d’une “sorte de quatrième dimension médiocre où (se laisser) guider par de doux entêtements, des manies candides et de vagues désirs”. Acide et gaillard, le style se taille la part du lion et un joli costume. Quelque part entre la fantaisie funambule de René Haddad et la causticité pugnace d’un Régis Jauffret, le lecteur enfile les shots poivrés comme surgis de l’alambic Desproges. Avec une fulgurance sans fard, on y scrute derrière le rideau les solitudes qui débordent comme le lait sur le feu. Il faut lire la perfection navrante avec laquelle un couple formé d’un mari pingre et d’une épouse calculatrice s’égare dans ses certitudes comptables. Pour leurs 20 ans de mariage, les tourtereaux festoient d’un plat de moules frites: “Au prix où elle est vendue on ne mange pas de la viande pour en dissiper les calories dans des empressements de canapé. L’acte sexuel consomme un steak haché au quart d’heure.” Ailleurs se retourne comme une crêpe la vie d’une quarantenaire esseulée: “La maison puait le silence du bas jusqu’en haut”. Dans cette assiette au beurre des mœurs domestiques, les philanthropies conjugales se piquent parfois d’une pointe de surréalisme, comme dans cette région entière “frappée de somatisation, la dévastation psychosomatique va jusqu’à frapper l’homme le plus idiot du canton”.
“Le steak se consomme bleu, pas la femme”
Pas du genre à dorloter ses lecteurs, Bartelt n’hésite pas à croquer des personnages peu reluisants: raciste, proxénète, margoulin sont saisis dans leur jus. Toutefois, sans ostentation et, donnant son titre au livre, un soupçon de fable morale serpente au hasard de ces solitudes contrariées. Ainsi, dans la plus longue nouvelle qui ouvre et charpente l’ouvrage, on suit les amours empêchées de Martin Vanoutte. Épris depuis ses 17 ans de la belle Blanche, il s’arrime cœur et âme à la cruelle promesse d’attendre le moment propice: “Je serai patiente si tu es patient”. Établissant ses quartiers face à l’immeuble où réside son adorée, Vanoutte attendra toute sa vie dans la coulisse de recueillir les fruits de sa patience. Mais le bon bougre n’est pas malheureux! “C’est une distraction de bonne qualité que de regarder la femme qu’on aime.” Au poil!
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