Fascination pour le true crime en littérature : la soif du mal

La série Paris Police 1905 décortique la France criminelle de la Belle époque avec un vrai souci de réalisme. © Rémy Grandroques/Tetra Media Fiction/Canal+
Philippe Manche Journaliste

À l’image de la nouvelle collection 10/18-Society, le true crime a le vent en poupe. Décryptage avec quelques professionnels dont Cyril Gay, co-fondateur des éditions Marchialy et l’écrivain David Peace.

« Les monstres existent vraiment, les fantômes aussi… Ils vivent en nous, et parfois ils gagnent…” Cette citation de Stephen King, qui en connaît un rayon sur la question, expliquerait-elle la fascination qu’exerce le true crime sur le commun des mortels? Sous-genre littéraire de la non fiction, le true crime, à la base un phénomène essentiellement anglo-saxon, s’attache à la narration d’affaires criminelles réelles. Si nous avons tous en mémoire De sang-froid de Truman Capote ou Le Chant du bourreau de Normal Mailer, le true crime a repris du poil de la bête avec l’apparition des plateformes et de séries comme Dahmer, Le Serpent ou Making a Murderer.

S’il ne nie pas l’impact de ces séries dans la popularité que connaît cette tendance dans le monde de l’édition ces dernières années, Cyril Gay, cofondateur des éditions Marchialy, première collection de non fiction dans l’Hexagone, “ne considère pas des séries aussi documentées soient-elles comme de la non fiction parce que la mise en scène est plus cloisonnante encore que celle de la mise en récit dans le texte”. Et de recontextualiser l’évolution du phénomène depuis la sortie de Tokyo Vice, premier ouvrage de Marchialy publié en 2016. “Il y a eu un développement de la non fiction de manière générale et au sein de la non fiction, c’est le true crime qui est le plus évident, pour des raisons qui sont à la fois commerciales et culturelles, aussi au sens “mode” suite à l’émergence des plateformes, analyse Cyril Gay. Lorsque nous avons lancé Marchialy, c’est un moment charnière avec la sortie de Sinatra a un rhume de Gay Talese aux éditions du Sous-Sol et un raffermissement de la ligne éditoriale chez Globe autour de la non fiction narrative (avec notamment L’Avocat aux pieds nus de Cheng Guangcheng, NDLR). Je l’avais annoncé en son temps avec l’assurance de la jeunesse et déclaré dans une des premières interviews que d’ici cinq ou six ans, toutes les grandes maisons auraient leur collection de non fiction.”

De fait, les éditions 10/18 viennent de s’associer au magazine Society pour une collection sang pour sang true crime avec l’ambition de cartographier les États-Unis avec une affaire criminelle par État. Viennent de sortir L’Affaire du Golden State Killer de William Thorp, qui se situe en Californie, et L’Affaire Alice Crimmins d’Anaïs Renevier, dans le Queens, à New York. “La sortie en poche d’American Predator de Maureen Callahan a excessivement bien fonctionné, concède Elsa Delachair, responsable éditoriale chez 10/18. Quand Society publie son dossier sur Xavier Dupont de Ligonnès l’été 2020 et fait un carton avec 400 000 exemplaires vendus en deux mois -un vrai phénomène de presse écrite-, on assiste à un véritable emballement. Nous travaillons en binôme avec Society et des journalistes qui enquêtent sur place pour des livres écrits et travaillés comme des polars avec les codes du genre comme des cliffhangers. Je constate qu’il y a une passion pour les histoires vraies, que les gens aiment les enquêtes et que si elles sont vraies, ça pimente la lecture.”

Effet miroir

“Je pense que l’intérêt pour le fait divers et le true crime vient du fait que le lecteur se retrouve un peu face à un miroir, mentionne William Thorp, qui a mené l’enquête du Golden State Killer pendant six mois pour deux mois d’écriture. Quand des questions sont non résolues, les gens sont passionnés et une fois le livre dans les mains, le lecteur n’a qu’une envie, c’est de suivre l’enquête de son côté. Il y a d’ailleurs énormément d’enquêteurs du dimanche sur Internet qui passent leur temps libre à essayer de dénicher l’info que personne n’a eue et des touristes de tribunaux, ces personnes qui assistent à des audiences pour apercevoir en vrai le meurtrier.” Marc Fernandez, rédacteur en chef du Mook polar Alibi et auteur d’un récent Héroïna chez Harper Collins/Noir, ne dit pas autre chose: “Les faits divers parlent de nous, de la société. Dis-moi quel fait divers tu regardes et je te dirais qui tu es, pourrait-on dire. Je crois que le public recherche des histoires ancrées dans le réel et puis, on aime se faire peur. Savoir qu’une histoire est authentique accentue ce sentiment.” “On voit bien l’appétence pour les histoires vraies et fortes avec le service des cessions des droits de nos livres, rebondit Cyril Gay. Où on nous dit que les maisons de production sont en demande d’histoires vraies à adapter pour la télé, le cinéma ou les plateformes.”

Le grand styliste noir qu’est David Peace (Le Quatuor du Yorkshire, GB 84, Tokyo, revisitée…) rappelle que le phénomène du true crime ne date pas d’hier et “existe depuis la naissance de la presse papier. C’était une des raisons des chiffres élevés des ventes au Royaume-Uni et aux États-Unis.” Et de rendre hommage au génie d’Edgar Allan Poe, “qui transformait en fiction les vrais crimes qu’il lisait dans les journauxet donnait au lecteur le rôle de détective aux côtés d’Auguste Dupin. La prolifération de magazines dans les années 60, 70 et 80 comme True Detective ajoutée aux ouvrages de Truman Capote et de Normal Mailer ont confirmé la tendance. Récemment, la disparition de Nicola Bulley, quasi une obsession nationale au Royaume-Uni, prouve que la fascination pour le true crime n’est pas près de disparaître.” Les monstres existent vraiment… Ils vivent en nous, et parfois ils gagnent.

5 incontournables du true crime

De sang-froid

de Truman Capote

Bien que sujet de controverses depuis sa sortie en 1966, l’ouvrage de Truman Capote, adapté plusieurs fois à l’écran, est considéré comme le premier roman de non fiction appartenant au genre du true crime. L’écrivain y relate avec une précision quasi chirurgicale et une écriture qui l’est tout autant le meurtre crapuleux de quatre membres d’une famille d’un fermier du Kansas en 1959. Capote s’installe sur place, rencontre à plusieurs reprises les assassins pour un résultat saisissant, captivant et stupéfiant.

Le Chant du bourreau

de Norman Mailer

Prix Pulitzer en 1980, ce roman sous-titré L’Histoire de Gary Gilmore, l’homme qui voulait mourir retrace l’affaire Gilmore: un individu issu d’une famille de mormons et condamné à mort pour les meurtres d’un employé d’une station-service et d’un employé d’un motel. Basé sur des interviews (plus d’une centaine de personnes), des comptes-rendus d’audience, Norman Mailer, aidé dans sa tâche par une documentaliste, livre un roman d’une puissance rare. Bouleversant de bout en bout.

Baltimore

de David Simon

Avant d’être le créateur de séries HBO à succès (Treme, The Deuce…), David Simon était journaliste au Baltimore Sun. Baltimore, adapté par l’intéressé sous le titre The Wire, raconte une année de la vie de la brigade criminelle dans l’une des villes au taux de criminalité le plus élevé des États-Unis. À lire aussi en complément, La ville nous appartient de Justin Fenton, lui aussi journaliste au Baltimore Sun et décliné également en minisérie HBO par le même David Simon.

American Predator

de Maureen Callahan

Le cas Israel Keyes, tueur en série, violeur et pyromane, suicidé en décembre 2012, reste encore aujourd’hui une énigme à part entière. La journaliste d’investigation Maureen Callahan raconte la traque de la police et du FBI de ce psychopathe qui menait par ailleurs une vie d’époux et de père de famille modèle. Keyes planifiait ses meurtres (trois prouvés, huit potentiels et des dizaines d’autres impossibles à démontrer), n’avait aucun mode opératoire, tuait à des centaines de kilomètres de chez et avait des caches d’armes sur tout le territoire. Absolument terrifiant.

L’Affaire du Golden State Killer

de William Thorp

Au mitan des années 70, les habitants de la côte Ouest des États-Unis vivent d’amour et d’eau fraîche. L’ex-flic Joseph James DeAngelo profite d’insouciance de l’époque pour assassiner treize personnes, en agresser une cinquantaine et cambrioler plus de 200 domiciles. La traque s’étire pendant 42 longues années. C’est cette chasse à l’homme que décrypte le journaliste William Thorp, traversée en filigrane par la question ultime: «Aurait-on pu arrêter DeAngelo dans sa course criminelle?»

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