
En images: l’histoire du dessin animé en 12 étapes-clé
Continent rêvé dérivant en toute liberté à la marge du 7e art, le cinéma d’animation possède son lot d’orfèvres et petits maîtres. Ce n’est pas Michael Dudok de Wit qui dira le contraire, lui que sa Tortue rouge, sublime premier long métrage à l’ambition cosmique sorti au début de l’été, a unanimement consacré en Terrence Malick du mouvement dessiné. Si ce modèle de zénitude et d’épure se frottant à l’idée du mystère autant qu’à celle de la beauté ne figure logiquement pas au menu de ce Cinéma d’animation en 100 films paru quasi simultanément, Father and Daughter (2000), le court séminal du même Dudok de Wit, lui, est bien de la partie. C’est tout le chic de cet ouvrage cornaqué par Xavier Kawa-Topor et Philippe Moins, l’un des créateurs du festival Anima à Bruxelles: l’hétérogénéité d’une approche convoquant aussi bien courts que longs métrages, films oubliés que fameux, inconnus qu’iconiques.
A la fois historique (des origines à nos jours), géographique (de Shanghai à Zagreb, de l’Italie au Niger), esthétique (des productions ultra expérimentales au cinéma le plus mainstream) ou technique (des silhouettes aux marionnettes, du dessin à la pâte à modeler, du papier découpé aux images de synthèse), le panorama ainsi proposé brasse large et gourmand. L’idée n’étant jamais de se fendre d’un classement obsessionnel à la Rob Fleming, encore moins de lister les plus retentissants succès en la matière, mais bien de s’arrêter sur ces jalons créatifs majeurs permettant de dégager les grandes lignes de force d’un exercice par définition mouvant, plongeant ses racines dans le théâtre optique d’Emile Reynaud dès la fin du XIXe siècle.
Du très ramassé Fantasmagorie d’Emile Cohl (1908), « marabout-de-ficelle » animé semblable à une impro de jazz transformiste, au muet Le Garçon et le monde d’Alê Abreu (2013), fugue à hauteur d’enfant ne recourant qu’à des moyens purement graphiques pour exprimer le ressenti de ses personnages, Le Cinéma d’animation en 100 films enquille les noms (Winsor McCay, Ivan Ivanov-Vano, Chuck Jones, Norman McLaren, Wan Laiming, Osamu Tezuka, Raoul Servais…) et les enseignes (les studios Fleischer, Disney, Toei, Ghibli, Aardman, Pixar…) incontournables comment autant de fabuleux destins animés.
Possiblement peu digeste lue d’une seule traite, cette somme savante est avant tout un must à garder à porter de la main et qui invite plutôt à picorer de loin en loin, de film en film, en prenant toujours soin de resituer patiemment l’éclairant contexte de production qui les a vus naître. L’animation selon le tandem Moins et Kawa-Topor? Plus qu’un art, une aventure humaine aux confins des genres et des styles, entre songeries innocentes et inquiétudes existentielles propres au monde des adultes, ces grands enfants pas sages, comme des images.
>> Le Cinéma d’animation en 100 films, sous la direction de Xavier Kawa-Topor et Philippe Moins, Éditions Capricci, 352 pages. ***(*)
Felix the Cat: Woos Whoopee (1928): héros déchu de l’animation muette supplanté par une souris à la voix de fausset, Félix le Chat ouvre la voie d’un marketing agressif associé à un dessin animé.
Asservie à la musique dont elle constitue une sorte d’émanation, l’animation de La Danse macabre des Silly Symphonies Disney (1929) servira de référent matriciel à toute la tradition US qui en découlera, à commencer par le fameux Fantasia de 1940.
Blitz Wolf (1942): Tex Avery et son humour délirant inspiré par le slapstick dynamitent l’effroyable farce nazie à la nitroglycérine burlesque.
Les lavis acidulés et autres arabesques psychés de Yellow Submarine (1968), réjouissant kaléidoscope sous influence(s), confortent les Beatles en icônes pop définitives à la fin des sixties.
Drôle et provocant, Fritz the Cat (1972) adapte contre son gré et en toute liberté l’oeuvre du géant de la BD underground Robert Crumb. Bénéficiant d’une aura sulfureuse à sa sortie, le film cartonne dans les salles.
La Planète sauvage (1973): ambitieuse production française résolument à rebours du modèle disneyen, le film phénomène de René Laloux se pose en libre et inclassable manifeste d’un cinéma de l’imaginaire.
C’est en voyant La Bergère et le ramoneur (1953), remodelé et réédité en 1980 sous le titre Le Roi et l’oiseau, soit la splendeur visuelle de Paul Grimault magnifiée par la poésie de Prévert, qu’un Hayao Miyazaki (Mon voisin Totoro, Le Voyage de Chihiro) comprendra qu’il est possible de proposer un cinéma d’animation résolument adulte. Une charge libertaire contre tous les totalitarismes.
Le Tombeau des lucioles (1988): maître film du passionnant studio Ghibli, un conte cruel de la jeunesse dont la quête de réalisme s’incarne au-delà du réel.
Premier long métrage labellisé Pixar, Toy Story (1995), récit mythique rejouant la querelle des Anciens et des Modernes à travers le destin de jouets anthropomorphes portés sur la métaphysique, est aussi le premier long d’animation de l’Histoire entièrement réalisé en images de synthèse.
L’Impitoyable Lune de miel! (1997): enfant du dessin de presse, l’Américain Bill Plympton impose en toute indépendance un univers trash et dingo dominé par la flexibilité « cartoon » des corps.
Kirikou et la sorcière (1998): Kirikou n’est pas grand mais il est vaillant dans ce conte africain épuré et vertueux où la parole s’érige en véritable moteur du récit.
Panique au Village (2009): Le tandem belge Aubier et Patar se fait le chantre joyeusement loufoque d’une animation en stop-motion foutraque et speedée où le travail singulier sur les voix se traduit en impayables accents.
Sous la direction de Xavier Kawa-Topor et Philippe Moins, éditions Capricci, 352 pages.
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