Emily St. John Mandel, éditions Rivages
La Mer de la tranquillité
Titre original: Sea of Tranquility, 304 pages
Emily St. John Mandel est de retour avec un récit très proche de Station Eleven, son grand succès. Moins brillant, mais prenant et troublant.
Tout le monde fait-il la différence entre roman d’anticipation et œuvre de science-fiction? On trouve, par exemple, dans Station Eleven, une pandémie semblable à celle de notre réalité qu’Emily St. John Mandel avait vu venir avant tout le monde, son roman ayant été publié dans le monde anglophone en 2014! Ce grand succès se déroulant dans un futur proche est un roman d’anticipation. Mais La Mer de la tranquillité, son dernier texte, est plutôt à classer dans les œuvres de science-fiction. L’autrice s’y adonne à cette activité maintes fois pratiquée dans de nombreux livres, films ou séries: le voyage dans le temps. L’intrigue se déroule à quatre époques différentes: en 1912 avec Edwin, en 2020 avec Mirella, en 2203 avec Olive, et en 2401 avec Gaspery-Jacques. Toutes et tous vont vivre un phénomène étrange: le ciel s’assombrit, quelques notes de violon et un son curieux se font entendre… En 2401, à l’Institut du Temps, on veille à ce que ces “anomalies” ne perturbent pas “la cohésion temporelle de l’univers”. Gaspery-Jacques, le véritable héros du récit, va être brinquebalé à travers les siècles pour s’en assurer, mais sera confronté à de sérieux dilemmes moraux.
Simulation
En lisant, on pense à L’Armée des douze singes de Terry Gilliam ou à son modèle, La Jetée, de Chris Marker. On songe aussi, inévitablement, au séminal Retour vers le futur: ici encore, à chaque voyage dans le temps, “la présence en soi du voyageur constitue une perturbation”. D’ailleurs, “Le monde tel qu’il existe ne serait-il qu’une simulation?” Cette théorie dérangeante à la Philip K. Dick, l’autrice en use pour “contourner les problèmes” afférents à ces perturbations dans la narration, a-t-elle avoué sur les ondes de RFI il y a peu.
C’est de la science-fiction, mais comme dans un roman d’anticipation, le futur, ici pas si proche, est plutôt crédible. On s’émouvra notamment de ces “colons” établis sur la Lune, et qui, pour certains n’ayant jamais mis les pieds sur Terre, rêvent d’y voir un jour un (vrai) coucher de soleil.
Autre source de trouble, les personnages: outreLes Aiguilles d’or: un roman d’aventure mystérieux et addictif Vincent et Mirella, déjà croisés dans son précédent roman, L’Hôtel de verre, Edwin, le jeune anglais envoyé en Amérique, est calqué sur le véritable arrière-grand-père d’Emily St. John Mandel; quant à Olive, l’écrivaine résidante lunaire en tournée promotionnelle sur Terre, elle est plus ou moins l’alter ego de l’autrice!
La Mer de la tranquillité est sans doute moins dense et original que le best-seller Station Eleven; mais avec ses références à foison (à Alain Resnais et à sa propre œuvre) et ses clins d’œil aux lecteurs, le livre semble pareil à un laboratoire dans lequel St. John Mandel expérimente à tout va, touche à la fois au personnel et à l’universel, tout en insufflant à son texte un doux trouble persistant tout du long.
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