Dominique A, chanteur lettré

Dominique A © DR
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

Joignant la littérature à la guitare, Dominique A propose Y revenir, titre de son premier roman et désormais d’une tournée hybride qui célèbre l’incursion pas passagère du chanteur majuscule en terrain littéraire.

« Il y avait cette phrase dans ma chanson Rue des Marais: « Bientôt j’écrirai tout/Quand je saurai viser. » C’est fou, quand on y pense: il semble vraiment que c’était un rendez-vous que je me donnais (silence). Mais entre-temps, j’ai dû prendre quelques cours de tir (rires). » En 2012, le plus littéraire des chanteurs français publie, sous un patronyme qui a récupéré ses trois lettres d’origine (Dominique Ané) Y revenir, court roman autobiographique dans lequel il sonde la relation qui le lie à Provins, son patelin d’enfance en Seine-et-Marne –« un lieu âpre, où vivre ne se faisait pas. » Le résultat est un très beau récit d’enfance, ultra mélancolique. La phrase est ciselée, infiniment pudique, toute de retenue en paragraphes ramassés: à la parution, la filiation entre le parolier et l’écrivain semble évidente. Ce fut en réalité un peu plus compliqué que cela: six mois plus tôt, quand il adresse la première version de son manuscrit à son éditrice chez Stock, le chanteur à la fossette prend conscience qu’il s’est un peu perdu en route. « J’étais très loin de la concision qu’on me prête dans mes chansons, et quand mon éditrice me l’a fait remarquer, le rouge m’est monté au front, très littéralement. Je me suis dit: « C’est pas possible, comment j’ai pu m’aveugler aussi longtemps? » Le texte était là, mais dans une jungle d’épithètes et de choses sans intérêt, alors que j’étais persuadé d’être juste. » Il s’attèle alors à une deuxième version du récit, taille, dégraisse, élague. Surtout, il retrouve des réflexes de versification, de rythmique -il est au même moment en pleine composition de son album Vers les lueurs. La période est à l’immersion. « Les deux pratiques ne se croisaient pas, ça faisait: le matin, neurones au garde-à-vous: bouquin, et l’après-midi, relâchement des synapses: musique. »

Dominique A, chanteur lettré

Un timing distinct qui cache pourtant une vraie porosité. En 20 ans de carrière (La Fossette sortait en 1993), c’est peu dire que la littérature a infusé le parcours du A, de chansons à hautes vibrations littéraires (Barbara de Kalvalid d’après Jorgen-Frantz Jacobsen, Antonia d’après Willa Cather) en albums entiers sous perfusion romanesque (Tout sera comme avant, accompagné d’un recueil de nouvelles écrites par d’autres que lui). « Les livres qui m’inspirent, j’aime m’en servir, recréer quelque chose autour. Partir d’images, de flashs arrivés à la conscience par la lecture, et en faire une histoire qui n’a rien à voir avec le bouquin de départ. » Mais la perméabilité au littéraire va plus loin: à pratiquer le terrain romanesque, Dominique A avoue envisager aujourd’hui la musique avec un certain déplacement. « Je sais que je suis avant tout un chanteur et que toute incursion dans le domaine littéraire, c’est un plus. Ça ne peut pas être déterminant. Mais c’est de l’écriture, quoi qu’il arrive… J’ai longtemps été dans un registre de chansons poétisantes, très codées, et je le suis toujours, mais je sais que pour la suite j’ai envie d’aller vers un terrain où je sois plus clair, directement. Et riche et consistant. C’est ce que je cherche à faire quand j’écris en prose. »

Bien trop de livres

Alors évidemment, avant de faire de la littérature, Dominique A en consomme. Beaucoup. En lecteur hors des modes, pointu et insatiable. « Non mais c’est maladif. J’ai assez d’argent pour ne pas devoir choisir. Et c’est un vrai souci… Il y a eu un bouquin là-dessus qui s’appelait Bien trop de livres?, et qui racontait des histoires de bibliophilie compulsive, des gens qui étaient morts littéralement étouffés sous leurs étagères de livres (rires). » Souvent marqué par des portraits de femmes –« Gioconda de Nikos Kokantzis est mon livre de chevet »-, le chanteur remué avoue fuir un peu les écrivains américains –« par hygiène mentale (rires)« – et les pavés –« le pavé manque de politesse: il témoigne d’un optimisme total par rapport au temps, ou d’une inconscience. Il présuppose que nous sommes éternels. » Les livres, il les lit partout, dans les cafés, dans le camion de la tournée, dans les trains, en voyage -il fait a priori moins voir du pays à son iPod qu’à ses piles. « Ça m’occupe beaucoup, les livres. Plus que les disques, en fait. Pour moi aujourd’hui le disque a moins de magie que le livre. Où que j’aille, je pars toujours avec des livres. C’est toujours pareil. Quand je pars, je me charge, je me charge, les gens me disent: « Mais qu’est-ce que t’as? » Mais j’ai des bouquins! Ça me rassure! »

C’est désormais jusque sur scène que le Nantais et Bruxellois d’adoption (deux appartements, deux bibliothèques) balade ses bouquins, pour une tournée hybride qui porte le nom de son premier roman: un littéral « concert littéraire » -le pompeux en moins- dans lequel il lira des extraits d’Y revenir, entrecoupés de chansons en mode solo. Un moment intimiste et suspendu, unanimement salué. « Mais je suis convaincu que c’est un spectacle qu’il ne faut pas faire durer. Lire soi-même des extraits d’un bouquin autobiographique, et interpréter ses chansons par-dessus, c’est quand même vachement autocentré, ça peut vite devenir lourd (rires). »

Cet été, Dominique a travaillé à l’édition d’une compilation d’articles (1) (il a été chroniqueur à TGV Magazine, il écrit aujourd’hui pour le Monde des livres), et surtout à un deuxième livre, recueil de textes courts, autobiographie morcelée en constant dérapage fictionnel. De quoi aussi, forcément, délier au passage la bride à de futurs morceaux. « Ce matin, je viens juste de finir d’écrire une petite chanson à partir du livre La Route bleue, un road-book de l’écrivain écossais Kenneth White. A un moment, il parle d’un train qui va dans un bled dans la région du Labrador au Canada, et j’ai brodé à partir de ça. Le mec se balade, je me mets à sa place, je suis dans le train, il y a un Indien qui cuve son vin à côté de moi. Puis on arrive dans un lieu où on extrayait plein de minerais à une époque, mais il n’y a plus rien, ils ont fermé toutes les mines. L’Indien descend, m’invite à boire des coups chez lui et je le suis… » Une extrapolation légère, belle comme un roman.

  • À lire également: Dans la bibliothèque de Dominique A.
  • (1) TOMBER SOUS LE CHARME SORTIRA EN FÉVRIER 2014 CHEZ LE MOT ET LE RESTE.
  • LE 8/11 À L’EDEN DE CHARLEROI, LE 9/11 AU CENTRE CULTUREL DE WELKENRAEDT ET LE 10/11 À L’ORANGERIE DU BOTANIQUE.

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