Critique | Livres

Sélection romans: les trajectoires de deux femmes à travers le porno et un puzzle familial

Dans son roman Libido, Antoine Hardy retrace la trajectoire de Nawel et Elodie dans l’histoire sans fin du porno contemporain.

Libido d’Antoine Hardy, où deux femmes évoluent différemment par rapport au porno, et Magirama de Pascale Bouhénic, une histoire de famille entre France et Algérie: nos deux romans de la semaine.

Libido

Roman d’Antoine Hardy. Editions Grasset, 272 pages.

La cote de Focus: 3,5/5

C’est la trajectoire de deux femmes meurtries, l’une par un deuil, l’autre par un passé qui la rattrape. La première cherche l’oubli dans le porno quand la seconde cherche à oublier le porno. Nawel vient de perdre sa mère, dernier point d’accroche de cette jeune trentenaire désenchantée. Un jour qu’elle erre sur Internet, elle retrouve son amie d’enfance, Elodie alias Queenor, devenue actrice porno. Nawel part à sa recherche, curieuse de savoir, comment, pourquoi. Lorsqu’elle retrouve Elodie, celle-ci fait face à un tsunami. Alors qu’elle est employée dans une cantine scolaire, un père de famille décide de sevrer son addiction au porno en se trouvant une victime expiatoire: Elodie sera exposée, mise à nu face à ses collègues, aux élèves, à leurs parents, renvoyée à son passé.

Libido figure tout à la fois le vertige de la chair, même quand elle est triste, la bouée de sauvetage que peut représenter le porno pour réveiller le désir de vivre, mais aussi la façon dont sa réalité contemporaine a pénétré toutes les couches de la société, et le double standard qu’y subissent les femmes. «Si elle avait été un acteur et non une actrice, elle aurait bénéficié des applaudissements de la complicité masculine», constate Elodie. Le porno a balafré sa vie, signant la mort de sa vie sociale. Les vidéos sont partout, et on ne soupçonne pas à quel point tout le monde consomme du porno. Révoltée, Nawel se trouve avec le combat d’Elodie une mission assez grande pour lui donner à nouveau envie de croire. Réunies par leur amitié, Nawel et Elodie voient pourtant leur trajectoire diverger, quand l’une parvient à «répar[er] quelque chose de son rapport au monde», l’autre n’ignore rien de la condamnation que son ancien métier fait peser sur elle.

Une perpétuité qu’Antoine Hardy décide d’acter avec une grande violence, choix final discutable d’un roman qui nous plonge néanmoins avec une belle maîtrise dans l’histoire sans fin du porno contemporain, ces corps à jamais exposés une fois transformés en pixels, et qui fait écho dans le domaine de la fiction au terrifiant livre collectif Sous nos regards, récits de la violence pornographique sorti récemment aux éditions du Seuil.

A.E.

Magirama

Roman de Pascale Bouhénic. Editions Gallimard, 144 pages.

La cote de Focus: 3/5

Durant la projection d’un film de Nelly Kaplan, Pascale Bouhénic découvre avec stupeur sa grand-mère maternelle à l’écran. Révélée dans la chaleur de Marseille, ville des exilés, la présence de Jeanne réveille les images enfouies dans les strates de la mémoire. Derrière la petite enfance chez les grands-parents dans les années 1960, il y a le départ précipité de l’Algérie à la suite des «événements». Ensuite vient l’arrachement à la grand-mère pour faire la découverte curieuse de la mère et du père, une femme joyeuse et tempérée, un homme colérique et tourmenté, avec lesquels l’autrice n’a «aucune facilité».

On craint de demeurer à quai face à ce puzzle intime, familial et cérébral. Or, comme on peut s’assoupir devant un film tout en étant travaillé par lui, le récit personnel déchire le voile, enveloppe et emporte le lecteur. Travaillant la mémoire au travers de l’épaisseur des mots, Pascale Bouhénic en appelle, dans Magirama, aux vertus magiques du cinéma: «On remonte le temps pour être en phase avec le présent.»

F. DE.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content