Nos 2 coups de cœur livres cette semaine

Frédéric BERTHET en 1988 © Gallimard

Une série d’articles de Frédéric Berthet, décédé en 2003, publiés en un recueil et le monde de l’édition vu par Tonino Benacquista: notre sélection livres de la semaine.

L’Impassible

Recueil d’articles de Frédéric Berthet. Editions La Table Ronde, 112 pages.

La cote de Focus: 4/5

La vie est une question de priorités. «A défaut d’un sens, toute existence peut avoir la netteté d’une hallucination.» Frédéric Berthet s’était promis dès l’adolescence au devoir d’écrire. Cette puissante impatience lui valut des amitiés solides avec Philippe Sollers, Roland Barthes ou Jean Echenoz –lequel flaire «un type complètement habité par l’écriture». On retourne le compliment: visitée par Berthet, faisant fi de la notion de genre, la langue se délie. Essais, récit, chroniques, chaque trace fit écho à la passion dévorante. Décédé à 49 ans, ses incursions en «territoire romanesque» demeureront éparses: un match en cinq sets dont deux recueils de nouvelles (Simple journée d’été, Felicidad). S’ajouteront la publication posthume d’un journal littéraire ainsi qu’une florissante correspondance. Une œuvre ramassée et par trop discrète à laquelle s’additionne aujourd’hui un recueil d’articles. Soit l’essentiel des lectures et chroniques composant son aventure journalistique pour Le Quotidien de Paris, L’Idiot international ou Le Figaroscope.

Format long sous couverture miel, on tourne les pages comme un whisky 16 ans d’âge dans un verre lourd. Revers lifté d’une pointe de mélancolie, l’humour à contre-jour partout y fait merveille, on s’enivre, on savoure. Antoine Blondin dépeint sous les traits d’un oncle excentrique à la Tati, deux pages sur Salinger à tomber, Raymond Carver, Philip Roth, Kafka en sa demeure… chez ce passeur pointilleux affranchi des modes, la littérature creuse, fait son lit. Glissées sur un ton de confident, éloges de la lenteur et de la délicatesse tressaillent sur «l’émail des mots». Erudit, piquant, l’œil en coin, c’est tout un art du décrochage où faire moisson de phrases «si bien tournées que c’en est un délit.» Un homme est parti. Un écrivain demeure.

F.DE.

Tiré de faits irréels

Comédie littéraire de Tonino Benacquista. Editions Gallimard, 192 p.

La cote de Focus: 3,5/5

Bertrand a rendez-vous demain au tribunal de commerce. Editeur, il lui reste une nuit pour sauver sa maison d’édition de la faillite. La littérature est toute sa vie, et les écrivains de son catalogue sont comme une deuxième famille, qu’il voit sûrement plus que la première. Il a fait le compte: en 40 ans de métier, il a passé plus de six ans, soit un dixième de sa vie, à lire. Seulement, comment rester à flot quand on a le flair pour refuser les best-sellers (le savamment nommé Les Chats errants de Savannah n’ont pas la vie facile) et une prédisposition à préférer les «feel-bad books» dans une industrie où les cartes ont largement été rebattues depuis ses débuts? Editeur à l’ancienne, il se révèle particulièrement inadapté à la nouvelle culture d’entreprise qui préside à la littérature, à grand renfort de bandeaux promotionnels, de BookTok et autres succès prémâchés.

Tonino Benacquista

L’art de la fiction est l’un des péchés mignons de Tonino Benacquista, depuis sa première publication après des années de Série noire dans la collection Blanche de Gallimard en 1997 avec Saga, jubilatoire journal de bord de la création d’un feuilleton télévisé. Il se penche cette fois-ci sur la littérature. Si Bertrand est sur le point de déposer le bilan, Tonino, lui, dresse celui du petit monde littéraire parisien. Il décortique avec la vivacité qu’on lui connaît le milieu de l’édition, dépeint une galerie de portraits savoureux des personnalités qui le composent ou qui gravitent autour, des mécènes aux influenceuses en passant par les critiques, sans oublier les auteurs sous toutes leurs formes, de l’écrivain national à l’écrivain mort, avec une mention spéciale pour Benoît Clerc, champion autoproclamé de l’écriture de soi: «Que dire de Benoît, sinon qu’il existe? J’entends par là qu’il existe plus intensément que les autres, ses contemporains, et c’est ainsi qu’il gagne sa vie, dont les événements marquants nous sont relatés dans des volumes de 120 pages à raison d’un tous les deux ans.» Une friandise joyeuse bien qu’un peu ronronnante qui se demande si l’on peut encore être sauvé par la littérature –comme avec l’intervention de ce narrateur omniscient qui met un peu d’ordre dans la vie de Bertrand.

A.E.

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