Dans son dernier livre, Jean Rolin rend un hommage sobre et délicat aux «évadés de France»

Jean Rolin prend les «évadés de France» comme personnages centraux de son dernier livre, Tous passaient sans effroi.
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Entre le carnet de route et l’enquête historique, un hommage sobre et délicat aux «évadés de France» qui ont fui l’occupation en passant par les redoutables Pyrénées.

«Avant même la mi-octobre, le nombre de mes tentatives de franchissement des Pyrénées, déjà, s’élevait à quatre: ou à trois et demie si l’on m’accorde que la première n’en était pas une à proprement parler.» Quelle mouche a donc piqué Jean Rolin, écrivain itinérant (Zones, L’Explosion de la durite…) pour se lancer à 70 ans bien sonnés à l’assaut du vertigineux massif montagneux? Le défi purement sportif serait trop banal pour cet arpenteur des marges urbaines et des accotements de l’histoire. C’est avant tout par souci de réalisme et pour honorer la mémoire des résistants qu’il entreprend à plusieurs reprises ce voyage périlleux vers l’Espagne, «comme l’avaient fait avant moi, durant les années de guerre, des aviateurs alliés, des réfractaires au STO (NDLR: le «Service du travail obligatoire» instauré par les Allemands), des résistants, des Juifs».

On l’a oublié mais tout au long du conflit, plusieurs dizaines de milliers de fugitifs ont fui le nazisme par ces sentiers escarpés culminant à plus de 3.000 mètres d’altitude, parfois au péril de leur vie, direction l’Espagne avant de rejoindre –souvent après un séjour dans les geôles espagnoles– le nord de l’Afrique ou l’Angleterre –et les rangs du général de Gaulle. Se glissant dans les pas de ces héros ordinaires guidés à l’époque par des passeurs du coin plus ou moins honnêtes, Jean Rolin entremêle ses observations sur le terrain –ici la visite d’un musée dédié au Chemin de la Liberté, là un commentaire sur la flore ou sur la prolifération de motards et d’ours dans cette nature sauvage– et le souvenir de traversées épiques. Car le narrateur ne se contente pas de refaire le trajet depuis Saint-Girons ou Banyuls, il a longuement enquêté en amont sur ces «évadés de France» comme on les a appelés.      

Une traversée à haut risque

Rocambolesques, parfois tragiques, leurs périples auraient pu nourrir des scénarios de films hollywoodiens. Ainsi de Philippe Raichlen, jeune homme brillant, énarque, qui est l’un des rares à avoir couché sur papier son aventure, à avoir décrit la peur des chiens et des patrouilles allemandes, la malnutrition, les cadavres de camarades moins chanceux croisés en cours de route. Ou de ce pilote américain, Bud Owens, qui survit à la destruction de sa «Forteresse volante» au-dessus de la Normandie, traverse clandestinement la France mais meurt dans la neige, épuisé, avec deux autres «évadés». 

Des tranches de vie qui donnent chair aux chiffres dont l’historien amateur parsème son récit. Comme celui-ci: 26.000, soit le nombre d’aviateurs de l’US Air Force morts au combat.  Ces crêtes qu’atteint avec peine Rolin ont vu passer des célébrités, comme la veuve de Gustav Mahler ou le philosophe Walter Benjamin. Mais aussi de futurs grands noms de la culture. En particulier un certain Jean-Pierre Grumbach qui, contrairement à son frère, réussira à franchir l’obstacle et à rejoindre la France libre sous le nom de… Jean-Pierre Melville. L’histoire du cinéma s’est jouée sur les pentes raides et impitoyables du massif.   

Sans boussole sinon son flair, ses limites physiques et un souci maniaque du détail et de l’anecdote qui fouette l’imagination, Jean Rolin rend un hommage singulier, discret et émouvant à ces intrépides fugitifs. A chaque page, par la magie d’une plume ciselée et attentive aux petits riens, l’émotion affleure sous la solennité, allège un peu la gravité, réussissant à tirer de cette épopée tragique tout le suc romanesque.  

Tous passaient sans effroide Jean Rolin

Récit. P.O.L., 220 p.

3,5/5

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