Craig Davidson collectionne les actes de résiliences dans son recueil « Cascade »
Craig Davidson, éditions Albin Michel/Terres d’Amérique
Cascade
256 pages
Viscérales et organiques, les nouvelles de Craig Davidson dissèquent l’âme ébréchée d’une poignée d’anti-héros. Percutant.
Si vous cherchez de la douceur amidonnée par pack de 12, passez votre chemin. Craig Davidson, l’inoubliable percussionniste de Un goût de rouille et d’os (adapté au cinéma par Jacques Audiard), promène sa plume sur le versant cabossé de l’existence, au plus près des losers, des affligés, des perdants. C’est vrai dans ses romans au réalisme brut, ce l’est peut-être encore plus dans ses nouvelles, récits coups de poing et sans gras où défilent des individus confrontés à leurs choix de vie, à leurs erreurs, à l’injustice ou à un environnement familial toxique.
Dans Les Lumières fantômes, une femme lutte pour sa survie et celle de son bébé au milieu des bois et de la neige après un accident de voiture. Dans La Brûlure, un ancien Marine tente de refouler le souvenir obsédant d’un camarade suicidé en devenant chauffeur de bus scolaire. Dans Un truc pur, un basketteur retrouve les parquets après un long séjour en prison… Les personnages de ces sept diamants noirs, des hommes, des femmes, des ados, des Blancs, des Afro-Américains, ont en commun, outre de vivre au pied des chutes du Niagara et de s’exprimer en “je”, d’avoir vécu des expériences traumatisantes et de chercher par des chemins de traverse, à tâtons, une forme de rédemption: la jeune mère en luttant autant contre les éléments que contre la culpabilité de ne pas avoir accueilli son enfant dans la joie et l’allégresse -“C’est un poids, Charlie. Un fardeau. Et il me revient”-, le soldat en se liant à Bree, une gamine handicapée et bravache, l’ex-star de la NBA en prenant sous son aile un jeune as de la raquette, autiste sur les bords, comme pour réparer le gâchis d’une carrière bousillée après avoir frappé un supporter raciste.
Destins cabossés
L’âpreté de ces tranches de vie ordinaires foudroyées par le malheur pourrait laisser un goût métallique en bouche. Mais le Canadien ne se complaît jamais dans la violence gratuite, qu’il désamorce d’ailleurs en grande partie grâce à l’ironie et à un sens magistral de la métaphore. “La pièce était du même gris industriel qu’une dent dévitalisée.” L’effroi tient surtout ici à la détresse psychique de ces âmes carbonisées qui semblent flotter au-dessus du vide. Et nous aussi avec, du coup. Un style visuel puissant qui se nourrit aussi d’un lexique riche et précis comme un scalpel. Qu’il parle basket ou médecine, le romancier maîtrise parfaitement son sujet. Au point d’insuffler parfois une étrangeté hypnotique rappelant Cronenberg. En particulier dans À moitié solide, portrait d’un chirurgien gavé d’hormones qui compense la faiblesse de la moitié gauche atrophiée de son corps par un flanc droit surpuissant. De l’empathie encore, rugueuse et fragile, pour cet ado croupissant dans un centre de détention pour mineurs à cause de son frère jumeau, psychopathe jaloux et possessif (Le Jumeau perdu). Plus qu’aux ténèbres, Davidson s’intéresse aux formes diverses de la résilience. Car même dans le cœur le plus sombre brille toujours une petite lueur d’humanité. Ou pas. Brillant.
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