Comment Leïla Slimani clôture sa fresque romanesque sur 3 générations d’une famille marocaine

Leïla Slimani boucle sa fresque familiale avec J’emporterai le feu. © MAXPPP

Leïla Slimani clôt avec brio sa trilogie Le Pays des autres, consacrée au devenir singulier d’une famille marocaine dans un monde colonial et postcolonial.

Dans Le Pays des autres, Leïla Slimani dressait le portrait de Mathilde, jeune Alsacienne tombée amoureuse en 1944 d’Amine Belhaj, Marocain combattant dans l’armée française, et suivait son installation dans une ferme isolée du côté de Meknès, dix années d’une vie aride qui s’achevaient avec l’indépendance. Regardez-nous danser introduisait Aïcha, Selma et Selim, les enfants d’Amine et Mathilde, alors que le Maroc de l’après-indépendance cherche encore ses marques, entre des traditions trop longtemps bafouées et une modernité qui a tout du mirage. J’emporterai le feu se penche sur la troisième génération de cette généalogie romanesque, et explore avec acuité et dans un style limpide la bourgeoisie marocaine de la fin du XXe siècle, entre aspiration à la liberté et soumission à l’ordre établi.

Après une longue introduction axée sur le quotidien d’Aïcha et son époux Mehdi, le récit se centre sur leur fille, Mia, dont le regard perçant va donner à voir les contradictions innervant la société marocaine, notamment cette impression de vivre entre deux mondes, «celui de la maison, où ses parents se montraient modernes, soucieux de la réussite de leurs filles et de leur émancipation. Et le monde dehors, dangereux et incompréhensible. A la maison, on pouvait critiquer le voile, le fanatisme […]. Dehors, il ne fallait pas en parler, ne pas provoquer, faire semblant de respecter la bienséance.»

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Condamnée à l’exil

Mais l’acceptation n’est que de façade. Mia s’affranchit de la norme, son homosexualité, jamais nommée en son foyer, est l’objet d’un pacte de silence passé avec sa mère, empli d’amour mais mutilant pour son identité naissante. L’exil devient la seule option possible, loin des cris étouffés qui résonnent dans ce Maroc des années 1990, où la bourgeoisie se laisse bercer par l’illusion d’une liberté achetée alors que les classes populaires subissent chaque jour un peu plus la pauvreté et l’intolérance.

Dans une conversation qu’il s’imagine avoir avec sa fille, Mehdi l’exhorte à partir, sans se retourner. «Ces histoires de racines, ce n’est rien d’autre qu’une manière de te clouer au sol, alors peu importe le passé, la maison, les objets, les souvenirs. Allume un grand incendie et emporte le feu.» Alors Mia tentera sa chance à Paris. Avec cet atterrissage forcé dans «la vie grise», Leïla Slimani achève une fresque familiale passionnante, à l’écriture d’une grande fluidité, incarnant en littérature ce que pouvait –et peut encore sûrement– représenter le fait d’être une Arabe (et plus largement une immigrée) en France, comment «pour assimiler il fallait se dissoudre, s’effacer, annuler le passé». En contant sur trois générations les destins souvent contrariés d’une famille marocaine, et les liens étroits qui l’unissent à la France, elle écrit en filigrane le roman de ces deux pays, dont l’histoire commune fait l’objet d’autant de passions que de tensions, encore aujourd’hui.

J’emporterai le feu
de Leïla Slimani, éditions Gallimard, 432 p.
La cote de Focus: 4,5/5

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