Charlotte Dekoker veut s’attaquer aux stéréotypes des contes de fées car les princes sont-ils “tout sauf charmants?”
Il est grand temps de relire les contes de fées et de détricoter les stéréotypes et les injonctions qu’ils véhiculent. La journaliste et autrice Charlotte Dekoker s’y attelle dans son dernière livre, et elle n’est pas la seule.
Tout sauf charmants? C’est la question que la journaliste et autrice Charlotte Dekoker, voix familière des auditeurs matinaux de La Première, pose en titre de son dernier livre, une série de réécritures et de décorticages de contes de fées bien connus, de Blanche-Neige à Cendrillon en passant par Hänsel et Gretel, Le Petit Chaperon rouge, ou encore Barbe Bleue. Des contes aux racines immémoriales et qui, malgré le temps qui passe, grâce aux adaptations successives (coucou The Walt Disney Company!), continuent d’imprégner nos imaginaires. « J’ai réalisé à quel point ces contes irriguent toujours le monde contemporain et à quel point, dans ma vie de femme, j‘avais été impactée par tous les récits« , explique-t-elle.
Le titre du livre, s’il questionne l’univers des contes en général, évoque bien sûr le personnage du prince charmant, forcément valeureux et vertueux. « Je me suis demandé quelle était la place, dans mes désirs, des désirs de tas d’autres personnes avant moi, qui ont produit ces récits qui m’ont fait rêver au prince charmant, poursuit Charlotte Dekoker. Et quand je dis « rêver au prince charmant », ça peut être aussi bien un conte de fées d’il y a 400 ans qu’un téléfilm de Noël de 2024. Parce que c’est toujours la même histoire! Je trouve cette figure extrêmement intéressante. Parce que c’est formidable comme concept! Une personne qui, par sa simple présence et le simple fait qu’elle nous demande en mariage, va résoudre tous nos problèmes. Qui ne rêve pas de ça? Qu’on soit homme ou femme d’ailleurs. »
Consentement
Mais dans les contes, le charmant, c’est toujours le prince, pas la princesse. Les princesses ont longtemps été condamnées à une certaine passivité. Forcées d’attendre, comme Blanche-Neige et la Belle au bois dormant, le baiser du prince qui viendra les tirer de leur profond sommeil. « Quand j’étais petite, j’adorais ce truc du prince qui embrasse la fille et qui la réveille, avoue Charlotte Dekoker. Fantasme absolu mais pas fantasme sexuel -ce n’était pas encore de la sexualité puisque je ne savais même pas ce que c’était, la sexualité. A posteriori, je me suis dit: est-ce que j’étais en train de fantasmer sur un non-respect de mon consentement? Ce qui serait OK aussi, c’est de l’ordre du fantasme. Et si ça nous excite, tant mieux. Mais ce n’est pas pour ça qu’on a envie que ça nous arrive pour de vrai. »
Dans son livre, Charlotte Dekoker propose une version du Petit Chaperon rouge racontée du point de vue du loup, lors de son propre procès. « Voilà, Madame la Juge. S’il y a une victime dans cette histoire, c’est moi », conclut le prédateur velu. Une version qui résonne bien sûr avec toutes les affaires de la déferlante #MeToo et en particulier la très actuelle affaire des viols de Mazan. « La version de Perrault, celle des frères Grimm, mais aussi la version « adaptée aux enfants » qu’on m’a lue quand j’étais petite, ont toutes un point commun, écrit l’autrice: elles font toutes reposer la culpabilité de ce qui arrive au Petit Chaperon rouge sur elle seule. Pour moi, cela participe de ce qu’on appelle « la culture du viol », c’est-à-dire un ensemble de comportements qui banalisent, excusent ou justifient les agressions sexuelles. » Autre exemple, parmi d’autres: Barbe Bleue, où la dernière épouse du monstre tueur a le tort d’utiliser la clé pour ouvrir la porte qu’on lui avait pourtant interdite. « La curiosité est vraiment un vilain défaut. Mais tuer ses femmes, ça va« , résume Charlotte Dekoker.
À propos de cette question du consentement, elle rappelle à bon escient que dans la version de La Belle et la Bête écrite au XVIIIe siècle par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, chaque soir, la Bête demande à la Belle, sa prisonnière, si elle accepte de coucher avec lui. « Et la Belle dit non. Elle dit non à cette Bête qui pourrait la tuer. Cette fille a un courage phénoménal. La Bête l’accepte et elle va se coucher. C’est génial parce que ça montre qu’on peut avoir un pouvoir de vie et de mort sur quelqu’un mais quand même respecter son consentement. À une époque où les mariages étaient majoritairement arrangés, c’était révolutionnaire. »
Changer de sexe
Dans Le Bel au bois dormant et autres contes où les princesses volent au secours de leur prince, recueil publié en 2021, un algorithme mis au point par l’Anglais Jonathan Plackett a systématiquement inversé les genres dans les contes traditionnels. Cendrillon devient Cendron, Blanche-Neige devient Blanc-Flocon, c’est un prince qui est dérangé par le petit pois sous les matelas, c’est Jacqueline qui grimpe sur le haricot magique, et ainsi de suite. Une manipulation simple, mais qui fait ressortir les assignations que ces contes véhiculent.
Jonathan Plackett, qui a travaillé sur cet ouvrage avec son épouse, l’autrice de BD Karrie Fransman, explique dans la postface que cette idée lui vient de l’inventivité de son propre père: « Quand j’étais petit garçon, mon père nous lisait, à ma sœur et moi une histoire avant d’aller au lit. Sans que nous le sachions, il inversait les genres des personnages. » « Nous souhaitions que notre fille grandisse dans un monde où les petites filles peuvent être puissantes et les petits garçons exprimer leur vulnérabilité sans se mettre en colère. »
Cet objectif de mise en pièces des stéréotypes véhiculés par les contes est également poursuivi par l’autrice et metteuse en scène Sofia Betz, à la tête de la compagnie Dérivation. Notamment dans sa version du Petit Chaperon rouge créée en 2019, destinée aux enfants à partir de 3 ans et demi et qui a connu un joli succès, tournant pendant plusieurs années. Comme dans la version revue par l’algorithme de Jonathan Plackett, le Chaperon est ici un garçon, mais en prime, il a soif d’aventure, tandis que le loup, lui, a peur du noir et doit vraiment se forcer pour mordre sa proie.
« On voulait interroger les rôles prédéfinis par la société, par l’entourage ou par la famille et revendiquer le fait de pouvoir choisir le costume qu’on endosse, précise Sofia Betz. Tout le rapport sexuel du prédateur et de la jeune demoiselle dans le conte originel nous intéressait moins, parce qu’on voulait s’adresser aux petits. On a plutôt travaillé sur l’idée du gentil et du méchant, sur la stigmatisation. Ca fait aussi référence à l’ »Étranger », celui que on ne connait pas, celui dont on a entendu parler mais dont on ne sait rien. Cet autre, si on prend le temps de le découvrir, s’avère être plus que le stéréotype qu’on en avait. C’est un sujet qu’on aborde très souvent avec la compagnie. Et par rapport aux petits enfants, les garçons pour les filles et les filles pour les garçons, c’est quand même le premier « autre » , le premier « étranger » que l’on rencontre à cet âge-là. On découvre qu’il y a les garçons et les filles. Comment sortir de ce cliché-là et se dire que on n’est pas obligé d’être une petite fille frêle, blonde aux yeux bleus pour se sentir fragile? Et que ce n’est pas parce que on est grand, fort et qu’on a plein de poils qu’on se sent fort pour autant. On voulait parler de ça: de ce qu’on met sur l’image d’une fille ou sur l’image d’un garçon. »
Pain et solidarité
Pour Sofia Betz, il faut tordre les contes, en questionnant les valeurs qu’ils véhiculent. « Il est temps de changer certaines choses dans ce qu’on transmet à nos enfants. Pour moi, le pire conte, c’est celui de la Petite Poule rousse, cette poule qui veut faire du pain, que personne ne veut aider, qui le fait toute seule et qui le bouffe toute seule. Je me rappelle que dans le livre de mes enfants, j’avais barré la dernière page et j’avais réécrit les paroles de la poule: « Venez, ce n’est pas grave, la prochaine fois vous m’aiderez. Venez manger mon pain. » Dans le monde d’aujourd’hui, on a plutôt intérêt à prôner la solidarité. Les contes sont totalement intemporels mais l’intérêt, c’est de pouvoir les remanier à chaque époque. »
Et c’est bien ce qu’a fait Disney avec La Reine des neiges en 2013, énorme succès au box-office et dont un troisième volet est prévu pour 2027. Du conte d’Andersen, le film d’animation réalisé par Chris Buck et Jennifer Lee n’a retenu que certains éléments, mais y a définitivement cassé l’image de la princesse passive qui attend son prince charmant. « Pour Disney, c’est vraiment un dessin animé autoréférentiel, souligne Charlotte Dekoker. Parce que ça montre que la princesse Anna se plante complètement en rêvant du prince charmant. Le prince va se foutre abondamment de sa gueule et même manquer de la tuer. Par rapport à Andersen, qui raconte la quête d’une petite fille pour retrouver son ami, la version de Disney n’a gardé que le décor et certains personnages secondaires. Mais dans les deux, il y a une jeune fille qui découvre son pouvoir. On est loin de la glorification de la femme domestique et fragile de Blanche-Neige (1937). Les Disney d’aujourd’hui cochent toutes les cases woke possibles et c’est vraiment intéressant qu’une firme internationale se pose ces questions-là. C’est la preuve aussi que les contes sont des récits qui peuvent totalement évoluer.«
Tout sauf charmants ? – Un nouveau regard sur les contes de fées, de Charlotte Dekoker, illustrations de Lucie Louxor, éditions Mango, 208 pages.
Le Bel au bois dormant et autres contes où les princesses volent au secours de leur prince, de Karrie Fransman et Jonathan Plackett, éditions Stock, 192 pages.
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