Mêlant thriller politique et roman intimiste, Michel Houellebecq dresse un constat désabusé du monde. Seules lueurs d’espoir: l’amour et la compassion.
La couverture blanche immaculée donne le ton. Elle rappelle à la fois la pureté d’un idéal fantasmé et flétri derrière lequel court Michel Houellebecq depuis 1998 et ses Particules élémentaires, et cette lumière éblouissante qui accompagne les humains au soir de leur vie. La nostalgie, la mort, la vieillesse… Des thèmes qui irriguent ce pavé touffu de 730 pages qui a pour ambition encore une fois de dépeindre notre monde occidental fatigué et déchu.
Le livre commence comme un thriller politique d’anticipation. Pas seulement parce que nous sommes en 2027, à la veille de l’élection présidentielle française qui devra désigner le successeur d’Emmanuel Macron au terme de son second mandat. Mais aussi parce que plane sur le monde une menace diffuse propagée par des vidéos énigmatiques postées sur les réseaux sociaux, d’autant plus inquiétantes qu’elles ne sont accompagnées d’aucune revendication et qu’elles ont apparemment mobilisé des ressources technologiques très avancées.
Pour qui sonne le glas
De quoi interpeller les autorités, et notamment Paul Raison, homme sans qualités mais néanmoins conseiller et confident du brillant ministre de l’Économie, Bruno Juge. Désabusé, cynique, misogyne, ce personnage typiquement houellebecquien semble voué au désespoir et à une forme de rancoeur acide si plusieurs événements intimes n’allaient réanimer un peu son coeur desséché. À commencer par l’AVC qui plonge son père dans le coma et va lui donner l’occasion de se rapprocher de cet homme secret tout en découvrant les vertus spirituelles de la compassion. Une valeur refuge en ces temps de crise morale, tout comme l’amour, le couple que Paul forme avec Prudence, englué dans la routine depuis des années, renouant miraculeusement avec l’incandescence des débuts.
Même s’il laisse filtrer un rayon de lumière, Houellebecq tape dur sur ses marottes habituelles que sont la bien-pensance, symbolisée ici par une journaliste bobo imbuvable, la décadence, la médiocrité et la faillite des élites intellectuelles. La troisième partie, étalage cru de l’agonie d’un homme condamné par la maladie, enfonce le clou de l’allégorie des convulsions d’un présent crépusculaire. Un chant du cygne aussi agaçant dans son exhibitionnisme et sa complaisance macabre que génial dans son lyrisme niais.
Composé comme un collage fait de bribes, de réflexions, d’intrigues inachevées, de digressions -sur l’humanisme, la religion, la science, l’euthanasie, l’écologie, etc.-, Anéantir déploie un paysage narratif complexe et déroutant. Un voyage métaphysique immersif, parfois vulgaire, toujours lucide, dans une époque dont « l’avilissement programmé (…) ne pouvait conduire qu’à une fin violente et triste« .
Mélancolique, brillant par moments, poussif et sentencieux à d’autres, ce Houellebecq-ci ravira les aficionados et confortera les autres dans l’idée qu’on accorde trop de crédit à ce prophète de malheur.
Anéantir
Roman. De Michel Houellebecq, éditions Flammarion, 736 pages. ***(*)
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