Cartel 1011, une fiction plus vraie que nature dans une organisation criminelle mexicaine: “Le but des cartels, c’est de faire du fric”
Avec Les Bâtisseurs, premier volet aussi crédible que violent de la trilogie Cartel 1011, le Normand Mattias Köping imagine une organisation criminelle mexicaine bien décidée à s’imposer comme numero uno à l’international.
« Comme son prédécesseur Andrés Manuel López Obrador dit AMLO, Claudia Sheinbaum est plus préoccupée par les critiques dont son gouvernement fait l’objet que par les 3 039 homicides commis pendant les 41 premiers jours de son administration », écrivait le journaliste mexicain Héctor de Mauleón dans les colonnes de El Universal le 12 novembre dernier. Un chiffre affolant en guise de zakouski afin de vous faire savoir que Cartel 1011, troisième roman noir de Mattias Köping, n’est pas si éloigné que cela de la réalité. À partir de la violence endémique que vit le Mexique depuis des décennies et qu’avait magistralement décrite Don Winslow avec La Griffe du chien, le romancier de 52 ans -qui vit avec femme, (grands) enfants et son chien Jasper entre Caen, Le Havre et Rouen- élargit le spectre en exportant la criminalité à l’échelle planétaire via ce nouveau cartel, le 1011.
C’est quoi le point de départ de cette trilogie?
Lors de l’écriture de mon second roman Le Manufacturier, je suis tombé sur le monde des cartels et je suis tombé à la renverse. Ça remonte au début 2017. J’ai commencé à me documenter sur absolument tous ces aspects avec aussi la question de l’environnement au Mexique, la culture de l’avocat, les stations balnéaires comme Acapulco, le problème de l’eau. J’essaie de dire le moins de bêtises possible. Je ne suis pas historien, je ne suis pas sociologue. Alors l’avantage, c’est que j’ai le privilège du romancier. Le mentir-vrai, pour paraphraser Aragon.
Certaines scènes sont, lorsqu’on écrit sur les cartels, forcément gratinées. Où poser la limite ?
Quand on commence à faire des recherches sur le Net, on tombe sur des choses stupéfiantes, comme cette vidéo où un homme se fait désosser à la machette comme je le raconte dans le bouquin avec des types qui se marrent pendant que le mec se fait éplucher vivant.
Un des atouts du roman noir, sa force, est d’aborder le monde d’aujourd’hui via le prisme de la fiction. Là où Cartel 1011 fait la différence, c’est par son contexte écologique: l’érosion des côtes, le trafic de sable, la problématique de l’eau, tous ces enjeux liés de près ou de loin au réchauffement climatique…
Le problème, c’est que très souvent, quand on pense aux cartels, on pense aussitôt au commerce de la drogue, de la prostitution et des armes. Et c’est normal parce que c’est leur fonds de commerce, leur ADN et ils le pratiquent toujours. Mais leur but, c’est de faire du fric, quel que soit le secteur.
Un article du quotidien Le Monde de 2022 relayait un rapport des Nations Unies qui alertait sur la consommation effrénée de sable, 50 milliards de tonnes par an, et sur ses conséquences graves sur l’environnement. Comment êtes-vous tombé sur ce commerce pour le moins singulier?
Dès que j’ai pris connaissance de ce commerce, j’ai voulu l’intégrer dans le roman. Et j’ai atterri sur un site qui montrait une vidéo de quelqu’un qui dénonçait le trafic de sable en Inde, et qui a été ensuite brûlé vif. Et je m’en suis servi dans le livre. J’ai regardé pas mal de documentaires, dont l’un sur le cas d’une plage en Jamaïque qui a disparu en une nuit. Les types sont arrivés avec des pompes, ils ont pris tout le sable et le lendemain, il ne restait plus que des rochers, tandis que l’eau était brune.
Quid aussi du projet de construction de la ligne de chemins de fer pour le train Maya, primordial aux yeux du conglomérat fictif COMEX de Cartel 1011, dont la construction est un fameux désastre écologique?
Le développement de la péninsule du Yucatán était au programme du projet électoral d’AMLO et dès qu’il est arrivé au pouvoir en 2018, il a lancé le train Maya. Tout ce que je raconte dans le livre à propos du pseudo référendum (Mattias Köping utilise l’adjectif pseudo parce que le référendum a été adopté par 89 % d’électeurs pour un taux de participation de 1 %, NDLR) de novembre 2018 est vrai. Sauf que le parcours nécessite de la déforestation, traverse des régions tropicales, la jungle, des trésors archéologiques, etc. Tous les écologistes mexicains un peu sérieux ont certifié qu’il allait y avoir des retombées et que des études étaient nécessaires avant de lancer le projet. AMLO a compris que ces gens allaient lui casser les pieds et il a filé la gestion du chantier à l’armée, ce qui est relativement fréquent au Mexique parce les militaires ont les meilleurs ingénieurs.
Certaines scènes font écho à ce qui se passe en Europe et même chez nous, en Belgique, où notre Ministre de la justice, Vincent Van Quickenborne, a vécu en résidence sécurisée il y a deux ans, suite à des menaces d’enlèvement imputées à la mafia néerlandaise de la drogue. Votre trilogie, c’est l’internationale du crime?
Je pense que le banditisme à très grande échelle est peut-être l’expression la plus pure du capitalisme parce que c’est la loi du profit absolu et que tous les moyens sont bons.
Bien malin celle ou celui qui pourra nous dire comment le monde va évoluer ne fût-ce que ces deux prochaines années. Vous restez poreux à la criminalité au sens large pour coller au plus près de l’actualité?
J’écris en permanence et je ne sais pas comment va se terminer la trilogie parce que je reste à l’affût. Il y a quelques semaines, je suis tombé sur C dans l’air et le titre de l’émission était Narcotrafic: la France en voie de « mexicanisation » ? Je me suis dit que je devais me débrouiller pour le mettre dans le bouquin. C’est avec comme mes personnages. Comme je n’ai pas de plan, lorsque j’en crée un qui me satisfait, je me dis: « Vis ta vie mon bonhomme« . Et moi j’écris, j’écris, j’écris. « Ah ouais tiens, tu vas faire ça? Bon bah écoute, fais ça et puis on verra ce que ça donne! ».
Cartel 1011 – Les Bâtisseurs ****, de Mattias Köping
Flammarion, 624 pages.
Quoiqu’on en dise, le mot cartel fait généralement apparaître le Mexique sur la carte du monde et son tsunami de violence qui en découle. Les familiers du définitif triptyque de Don Winslow (La Griffe du chien, Cartel, La Frontière) trouveront dans ce premier et solide volet de cette trilogie, elle aussi, de quoi se sustenter joyeusement en matière d’adrénaline et d’horreur pure. Cartel 1011 accélèrera votre rythme cardiaque et augmentera votre pression artérielle.
À nous de s’incliner devant Mattias Köping et sa fresque criminelle aux ramifications internationales. Dans le Yucatán (entre le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes), le clan Hernandez à la tête du (sur)puissant conglomérat Comex entame les travaux du train Maya, un réseau de chemin de fer interurbain, au détriment des dégâts irréversibles sur la faune et de la flore. Hasard du calendrier, l’impénétrable Cartel 1011 se jure de prendre le contrôle de tous les trafics du globe en matière de drogue, d’animaux et même de sable. De l’Inde à la France en passant par l’Espagne ou Liverpool ou sur leur terre natale en exécutant des journalistes trop curieux, les « employés » du cartel sèment chaos et désolation. Non sans humour, si si, Mattias Köping s’appuie sur des personnages robustes et une narration fluide pour un thriller de haute voltige.
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