Benoît Poelvoorde: « Deux choses peuvent sauver: l’alcool et les livres »
Il y a quelques semaines, l’acteur surprenait son monde en annonçant qu’il lançait un festival de littérature inédit au théâtre de Namur – trois jours de lectures et débats où écrivains et éditeurs, mais aussi acteurs et cinéastes people, livreront, en public et en toute décontraction, leurs visions sensibles de romans (bien) choisis. A quelques heures du coup d’envoi de l’Intime Festival, on retrouve Benoît Poelvoorde pour une discussion joyeusement débordante, et forcément inédite, sur une passion méconnue, entre les murs de la jolie librairie namuroise où il a ses habitudes. Car parler littérature, c’est aussi dire beaucoup de soi…
On ne vous savait pas si grand lecteur…
Benoît Poelvoorde: C’est sûr, les gens ont plus l’habitude de me voir faire le guignol que de parler littérature… D’ailleurs, pour tout vous dire, quand j’ai appelé Fadila Laanan pour l’entretenir de mon projet, elle a d’abord cru à un gros canular! C’est pour moi un exercice tout à fait inédit de parler de moi en tant que lecteur. C’est très intime. C’est un peu comme si je vous montrais mon lit! Parce que si je cite les bouquins que j’ai passionnément aimés, tout le monde va savoir qui je suis! J’ai toujours pensé que la première chose qu’on devait offrir à une femme pour la séduire, c’est un livre. Un livre qu’un autre aura écrit, mais qui lui parlera de nous bien mieux qu’on ne le fera jamais.
Comment est venue l’idée de ce festival?
D’abord, d’une volonté de sortir du cinéma. Le cinéma prend tout mon temps, parce que je tourne beaucoup, puis parce que je dois assurer énormément de promo. Ça prend tant de place dans ma vie que parfois, ça m’épuise, ça me vide complètement. Et quand je commence à déprimer, j’ai besoin de m’intéresser à autre chose. A part le cinéma, ce qui me fait vibrer, c’est les bouquins et les bagnoles (rires). L’idée du festival et de son thème en tant que telle est venue d’un roman que j’ai lu, et qui m’a mis terriblement mal à l’aise. Un livre français – dont je tairai le titre et l’auteure – qui a eu énormément de succès. Je l’ai arrêté en plein milieu pour la simple et bonne raison qu’à un moment donné, je ne parvenais plus à savoir si je le lisais parce que j’entrais dans un récit, parce que j’en aimais l’écriture ou l’univers, ou tout simplement poussé par une sorte de curiosité malsaine. J’ai alors eu envie de mettre en débat la question de l’intime en littérature, ses limites et ses transgressions.
« J’ai toujours pensé que la première chose qu’on devait offrir à une femme pour la séduire, c’est un livre. »
En somme, pour vous, les limites de l’intime, c’est le genre de l’autofiction?
Je suis opposé à cette idée que les gens se livrent partout, tout le temps. En littérature en particulier, je trouve que depuis quelque temps, on assiste à une drôle de tendance qui vise à confondre curiosité et écriture. Ça ne m’intéressera jamais qu’un écrivain me raconte avec qui il couche, si il dort à droite ou à gauche du lit, et pourquoi il se lave. Ce qui me fascine, en revanche, c’est de voir comment il parvient à traduire ses névroses, ses angoisses dans un langage qui lui est propre. C’est ça, la littérature: comment l’écriture peut intervenir dans la vie de quelqu’un et en quoi cela lui permet de transcender son quotidien. Lisez Les Années d’Annie Ernaux, c’est un exemple merveilleux. Pour moi, il n’y a rien de plus élégant que quelqu’un qui ne parle pas de lui, tout en parlant de lui.
Quelle serait votre définition de l’intime?
L’intime, c’est ce moment où on croise le regard de quelqu’un qui est en train de s’inspecter dans un miroir. C’est cet instant de malaise, ce glissement qui fait l’intime: ce moment qu’on n’aurait pas dû partager et qu’on a partagé. Il y a entre celui qui a vu et celui qui a été vu comme une entente implicite. On donne, et on perd, il y a une sorte de jeu assez sexy là-dedans.
En programmant la lecture de morceaux choisis de vos derniers coups de coeur littéraires, notamment J’ai réussi à rester en vie de Joyce Carol Oates, assumez-vous un rôle de prescripteur?
Je préfère le terme de passeur. Le problème, c’est que les gens ne veulent pas partager ce qu’ils ont aimé. Il y a une vraie prétention dans la culture, une prétention à aimer un tableau, un roman rien qu’à soi. Et personne ne veut l’admettre. J’avais une amie qui aimait énormément le travail d’un photographe. Elle avait découpé ses photos, et en avait fait un tableau. Pas de bol: deux ans plus tard, Ikea décide de reproduire les mêmes clichés sur des millions d’exemplaires. Tout à coup, on n’a plus vu que ça, partout. Du jour au lendemain, mon amie a enlevé le tableau de son mur. Je lui ai dit: « Tu l’as retiré parce que tu ne l’aimais plus, ou parce que tout à coup, tu devais le partager avec des milliers de gens que tu juges moins bien que toi? » Les photos n’avaient pas changé! L’être humain est fondamentalement individualiste, il a besoin de se différencier, et beaucoup de gens pensent l’objet culturel en ces termes: moins il sera vu, plus je l’ai découvert, plus il est à moi et plus il a du prix. Moi, je ne pense pas comme ça.
L’écrivain américain Saul Bellow a dit: « Seuls les livres peuvent consoler de la méchanceté du monde. » Vous signez?
Deux choses peuvent sauver: l’alcool et les livres. Lire, c’est un véritable refuge. Mais même les plus grands écrivains n’apportent pas de réponses, seulement des éclairages. Le pire, quand on va mal, c’est quand on ne sait même plus lire… Personnellement, si à un moment je sens que je n’arrive plus à me concentrer pour lire, alors là, je sais que j’ai atteint un stade où plus rien ne m’intéresse… Ça m’est arrivé. C’est très dur.
Quel est votre livre culte?
Adolphe, de Benjamin Constant. L’histoire d’un fils d’ambassadeur qui va jouer à séduire une femme mariée. On flirte avec Les Liaisons dangereuses… C’est d’une lucidité, d’une cruauté et d’une méchanceté terribles! Adolphe, je le lis au moins une fois par an. Et la fin me fait pleurer à chaque fois. De toute façon, quand je lis, je suis une vraie pleureuse (rires).
« Il y a une allégresse, une véritable grâce dans le moment secret de la littérature »
Est-ce difficile de s’afficher en intellectuel à l’heure où on considère la culture comme un luxe?
Je vais être dur mais je le pense: pour 40% des gens, la culture, c’est mort. Ça ne les intéressera jamais: ils regarderont la télé jusqu’à la fin de leur vie. Il n’y a là aucun jugement de valeur de ma part, d’ailleurs ma propre mère fait partie de cette catégorie! Puis, il y a les 10% qui constituent l’élite, la frange des intellectuels, ceux qui font peur. Et entre les deux, il reste 50% de gens. Ce sont eux que je veux toucher, les convaincre de ne pas être intimidé par les livres. Leur dire: « Croyez-moi, la littérature, c’est aussi excitant que le cinéma! » Les gens ne se rendent pas compte qu’ils ont des milliers de trucs exceptionnels à portée de main. L’autre jour, dans un night shop, j’ai trouvé un livre de Patrick Modiano! Aujourd’hui, on peut trouver l’intégrale de Bach pour 100 euros: toute son oeuvre! On en a pour sa vie à l’écouter. C’est là le problème: aujourd’hui, les gens ont trop de choix.
C’est pour ça que vous n’avez pas d’ordinateur?
C’est vrai, je refuse d’avoir un ordinateur. Le cerveau est ultra stimulé par le changement. Plus on le stimule dans ce sens, plus il va avoir besoin d’être stimulé. C’est sur ce principe que les gens vont sur le Net. Quand ma femme part en vacances, elle me laisse sa tablette: je passe la journée dessus, à zapper d’un article à l’autre. Et je me sens tellement vide après… On s’informe mais on ne se nourrit pas. Alors qu’il y a une allégresse, une véritable grâce dans le moment secret de la littérature.
Quelles sont vos manies de lecteur?
J’adore lire le soir parce que je suis insomniaque. Mais lire très tôt, à l’aube, c’est aussi exceptionnel: le cerveau est tout à fait ouvert. Je conseille toujours de lire en fumant, parce que la nicotine active la réflexion (sic). Pour moi, le livre, c’est comme un ami. Il y a quelques années, j’ai vendu tous mes livres de poche d’un coup. Je l’ai regretté par après, parce que je me suis rendu compte à quel point ils faisaient partie de ma vie. Maintenant, je les garde tous. Je ne m’en sépare plus, et je ne les prête pas. J’annote mes livres, je fais des dessins sur les pages quand je m’y ennuie. C’est génial d’ouvrir un livre dix ans après l’avoir lu et de tomber sur ces petites notes-là, on se dit alors à soi-même: « Ouh la, toi, je sais ce que tu traversais à ce moment-là! » (rires). Je suis aussi convaincu qu’on pourrait écrire la vie de son couple en dix romans: regarder comment ses amours ont évolué, en fonction des bouquins qu’on a lus à telle ou telle époque…
Vous êtes aussi sensible à la peinture…
La littérature est en première position, mais la peinture vient juste derrière. Les toiles des grands peintres m’arrêtent, me fascinent. Le plus immense de tous, c’est Velasquez. Quand je vais dans un musée, ce que j’aime, c’est choisir deux ou trois tableaux, aller les voir et prendre le temps – tant pis pour le reste. A l’heure des grandes rétrospectives, ça peut paraître réac’, mais pour moi, la peinture, c’est comme les parfums: si on en teste plus de trois à la suite, après, on ne sent plus rien. Je suis stupéfait quand je vois des gens qui se tapent 200 tableaux en quelques heures, je me dis: c’est pas possible! Quand je suis allé au Prado à Madrid, je ne voulais qu’une seule toile: le Christ crucifié de Velasquez. Je n’ai rien vu d’autre!
C’était important que l’Intime Festival soit ancré au théâtre de Namur?
Ça fait partie du charme de l’événement, c’est sûr. Namur, c’est ma ville. Une ville bucolique, qui se prête vraiment à la flânerie en bord de Meuse, qui donne envie de lire: presque un cliché! Un peu à l’image de ces villes perdues en France, qui cachent une petite librairie bien placée et qui, soudain, fait retrouver le bonheur de l’odeur du livre.
« Pour moi, la Belgique n’est pas surréaliste, mais réaliste. Comme disaient Les Snuls, « La Belgique est un plaisir et doit le rester ! »«
L’appartenance géographique en littérature, qu’en pensez-vous?
Je suis francophone parce que je n’ai pas le choix: si je pouvais parler d’autres langues, j’en parlerais plein! Je peux revendiquer d’être belge, mais être wallon, par exemple, ça ne veut rien dire pour moi. Et l’idée d’une littérature régionale, c’est exactement tout ce qu’on a voulu éviter dans le festival (NDLR: dans la liste des auteurs invités, on compte aussi bien le Flamand Tom Lanoye que l’Américain David Vann). Moi, je me fous que les écrivains soient belges ou américains, c’est universel, la littérature. On continue bien à lire des livres du XVIIe siècle avec passion: c’est bien plus lointain que de savoir dans quel endroit du monde ils ont été écrits!
Tout de même, on dit souvent qu’en Belgique, la réalité dépasse la fiction.
Il n’y a rien de plus énervant que de dire de la Belgique qu’elle est surréaliste. Pour moi, la Belgique n’est pas surréaliste mais réaliste. Point. La Belgique est drôle. Comme disaient les Snuls – et c’est la plus belle chose qu’on puisse dire la concernant – « La Belgique est un plaisir et doit le rester. » Ça nous résume magnifiquement! Et un de mes plaisirs belges, c’est le roi! J’aime mon monarque, il m’amuse, j’ai plaisir à le voir défiler avec ses chapeaux, visiter les usines, serrer les mains. Parfois, j’aimerais être une petite souris pour voir où il peut bien ranger les assiettes en étain et toutes les saloperies du genre qu’on lui a offertes toute sa vie! (rires).
Que penser de Philippe?
Le nouveau roi? Ah oui, je vais bien rigoler: il est maladroit, Philippe! C’est quand même le seul homme qui a réussi à coincer la robe de sa future femme dans la voiture le jour de son mariage (rires)! C’est aussi ce qui le rend super attachant: il me ressemble! La principauté de Monaco tient parfois de l’opérette qui m’exaspère, mais la famille royale belge, c’est tout le contraire: depuis la baisse des dotations, ils sont en train de se demander s’ils auront assez de charbon pour l’hiver (rires). Par ailleurs, j’ai vu la photo officielle qu’ils ont fait paraître de Philippe et Mathilde, et je peux vous dire… (il s’interrompt, éclate de rire), je peux vous dire qu’il y a un coiffeur qui est en guerre, un coiffeur qui se venge, celui qui coiffait Fabiola et qui coiffe maintenant Mathilde. Avec tout le respect que je dois à ma reine, elle a trop de cheveux en l’air: on est dans une espèce de guerre du cheveu! D’où ma question à nos amis monarques: ne serait-il pas temps de changer de coiffeur?
Intime Festival, théâtre de Namur, du 30 août au 1er septembre. Avec Laurent Gaudé, David Vann, Tom Lanoye, Jaco Van Dormael, Catherine Frot, Benoit Jacquot, Edouard Baer…
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