Aya Nakamura décryptée par Ismaël Mereghetti : “Comment expliquer qu’une chanteuse qui fait des chansons d’amour provoque autant de haine ?”

Aya Nakamura, période Djadja, le tube qui l’a révélée aux yeux du grand public
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Dans son Dictionnaire critique d’Aya Nakamura, le journaliste Ismaël Mereghetti revient sur la trajectoire fulgurante de la chanteuse, décryptant sa musique, son parcours, mais aussi les polémiques. « Pourquoi Aya Nakamura suscite autant de critiques? Le racisme, point »

C’est la chanteuse francophone la plus streamée au monde. En un peu de moins de 10 ans, Aya Nakamura a en effet enchaîné les tubes – Djadja évidemment, mais aussi Pookie, Copines, Comportement, Dégaine, Baby, etc. – et chamboulé la pop culture made in France. L’été dernier, elle participait encore à la cérémonie de clôture des JO de Paris, reprenant Aznavour en compagnie de la Compagnie républicaine, devant l’Académie française. Tout un symbole, a fortiori pour cette fille d’immigrés maliens, qui a grandi du côté d’Aulnay-sous-Bois. Et une pilule difficile à avaler pour les esprits les plus conservateurs…

La chanteuse laisse en effet rarement indifférent, suscitant autant l’admiration que le mépris. Tout cela, le journaliste Ismaël Mereghetti l’analyse dans son Dictionnaire critique, récemment publié aux éditions Lattès. Un abécédaire qui tente de cerner la personnalité et surtout la musique d’une artiste unique. Explications

D’abord, pourquoi avoir choisi cette forme, celle d’un dictionnaire ? Par souci d’accessibilité ?

Il y a de ça. L’objectif du livre était qu’il puisse parler au plus grand nombre. Donc à la fois aux fans et aux détracteurs, aux gens jeunes et moins jeunes, etc. En ce sens, j’ai conscience qu’il y a parfois des réticences vis-à-vis de la lecture. Pour certains, cela peut faire peur de se « manger » une biographie de 200 pages. L’avantage du dictionnaire, c’est qu’on peut picorer et avoir une lecture complètement déstructurée, choisir un mot puis revenir 15 pages en arrière, etc. Il y a un côté plus ludique. Un autre avantage est qu’un dictionnaire permettait de brasser en permanence toutes les facettes : je pouvais mettre des éléments biographiques, puis revenir sur le musical, etc. Sans me soucier non plus de la chronologie. Donc cette forme était à la fois plus « confortable » pour le public et m’offrait à moi une plus grande liberté.

C’est un dictionnaire « critique » ? Pourquoi cette précision ?

La réponse la plus simple est de rappeler que le livre fait partie d’une collection qui a été labellisée telle quelle. Mais, pour tout dire, j’ai pu avoir des réticences sur cet adjectif. J’en ai parlé à la maison d’édition. A la base, le mot est juste un synonyme d’« analytique ». Mais dans notre culture, a fortiori vis-à-vis chez les jeunes, le sens premier qui vient en tête est celui d’une critique négative. On était aussi en pleine polémique sur le JO. Du coup, je craignais que le titre soit mal interprété et vu comme un ouvrage à charge.

Ce qu’il n’est pas du tout

Non. Mais je dois dire que j’ai été vite rassuré. J’ai l’impression que tout le monde a peu oublié le mot « critique ». Les fans en tout cas ont compris que c’était un livre positif. A la limite, ceux qui ont davantage tiqué sont plutôt certains médias conservateurs qui attendaient plus de négatif qui irait dans leur sens. Le Figaro, par exemple, a consacré un long article au livre. Ce qui est très cool. Mais pour trouver finalement la tonalité générale un peu trop hagiographique. C’est fort, comme mot, beaucoup trop fort, pour un ouvrage qui essaie juste d’être neutre et bienveillant.

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Mais est-ce qu’il n’y avait pas malgré tout la volonté de défendre une artiste qui n’a pas toujours été épargnée ?

Selon moi, il y a, aussi bien dans les médias que dans l’inconscient collectif, une image fausse d’Aya Nakamura. Elle est entourée d’un tas de stéréotypes, de clichés, etc. Donc oui, l’idée de départ était d’essayer de dresser un portrait un peu plus juste. Ou en tout cas la plus objectif possible. Après, effectivement, s’est posée la question de savoir si j’allais aussi inclure des trucs plus négatifs – parce qu’il y en a forcément, comme chez tout le monde. Mais, dans le contexte où le livre sort, dans la mesure aussi où c’est le premier livre sur elle, avec tout le passif des 10 dernières années, j’ai fait le choix volontaire d’évacuer les éléments plus problématiques. Je me suis dit que ce n’était pas le bon timing et je ne serais pas la bonne personne pour aller sur ce terrain, dans un livre qui privilégie de toutes façons l’aspect musical.

Précisément, comment décrire la musique d’Aya Nakamura ?

On a toujours eu beaucoup de mal à la « labelliser ». Personnellement, j’y vois le signe qu’Aya est à l’origine d’une vraie révolution musicale. Elle fait quelque chose qui n’existait pas avant. Pour décrire quand même la sonorité de sa musique, je dirais qu’elle est au carrefour de trois choses. D’abord, l’afrobeat moderne, issu du Nigéria, et qui est aujourd’hui l’une des musiques les plus populaires au monde. Aya va également chercher du côté du zouk, et en général, des musiques antillaises et caribéennes. Enfin, elle saupoudre tout ça à la fois d’un peu de hip hop, d’un peu de R&B – dans les intonations notamment -, et puis surtout de variété française. C’est ce mélange qui est unique. Ajoutez à cela un jeu et une utilisation de langue, que d’autres ont déjà pratiqué avant, mais auxquels elle donne un côté très personnel.

Comment comprendre qu’Aya Nakamura suscite autant de ressentiments et de critiques en France ?

Le racisme, point. Malheureusement, c’est aussi simple que ça. En ce sens, comme je l’explique un peu dans le livre, les discussions autour d’Aya sont en grande partie le reflet de la société française d’aujourd’hui. Comment expliquer qu’une chanteuse qui fait des chansons d’amour provoque à ce point, non pas de l’indifférence, mais de la haine ? En se rappelant qu’on vit aujourd’hui en France, dans un pays divisé en deux. Tiraillé entre une partie attirée par un fort conservatisme et une extrême droite importante, et une autre moitié plus… détendue (sourire), plus progressiste. Avant Aya, aucune femme noire n’avait réussi à atteindre ce niveau de popularité et de succès en France. Et cela dérange certains, qui n’acceptent pas qu’elle puisse représenter la France, par exemple aux JO.  Quand on la critique parce qu’elle ne chante soi-disant pas en français, ou qu’on ne comprend pas ce qu’elle dit, c’est encore une fois tracer une frontière entre ce qui est acceptable du point de vue du patrimoine français et ce qui ne l’est pas. Pour moi, Aya est victime du mépris socio-culturel et des a priori racistes et classistes d’une grande partie de la population.

Le livre débute par une citation de l’académicien Pierre Gaxotte, en 1980 : « « Si on élisait une femme, on finirait par élire un nègre »…

C’est fou ! Quarante-cinq ans, ce n’est pas si loin. Ce n’est pas une phrase qui est tirée des années 30. Mais ce qui est encore plus dingue, c’est que je ne suis pas certain que l’on a tant évolué que ça.

Lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris, Aya Nakumura a précisément chanté devant cette même Académie française…

C’est vrai. Mais en même temps, deux mois plus tôt, une banderole était déroulée sur un pont de Paris sur laquelle était écrit : « Ici c’est Paris, pas le marché de Bamako… »

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Par rapport à ces polémiques, Aya Nakamura est toujours restée très en retrait. Comment comprendre ce manque de positionnement ? En interview, elle reste souvent très prudente, notamment dès qu’on essaie de la faire commenter des sujets plus politiques.  

J’ai relu et regardé toutes ses interviews. J’ai essayé de comprendre ses mécanismes. D’une part, il ne faut pas négliger le fait qu’elle se retrouve sous les feux de la rampe assez jeune. Elle a 23, 24 ans, quand elle se retrouve projetée dans une industrie musicale difficile, très violente. Elle comprend vite que chacune de ses prises de parole est scrutée. A partir de là, on peut imaginer qu’elle ne veut pas prendre de risques, et affronter de tels vents contraires contre elle, sur des sujets parfois sensibles. On peut aussi se dire qu’elle ne fait pas une carrière politique. Elle fait de l’art, et à ce titre, c’est son droit de vouloir rester sur ce seul terrain-là. En fait, elle a toujours été claire là-dessus. Elle a toujours dit qu’elle embrasserait peut-être un jour des combats. Mais qu’en attendant, cela ne servait à rien de projeter sur elle des choses qu’elle n’a pas dites. Cela étant dit, être Aya Nakamura est déjà un « acte » politique en soi…

Le livre évoque notamment le concept de misogynoir, qui combine racisme et misogynie…

Je suis très content d’avoir pu le glisser. Aujourd’hui, le terme a encore pris une autre dimension – notamment après la vague de haine que s’est reçue Ebony, lors de la Star Academy. Mais jusque récemment, c’était encore un mot qui était surtout utilisé dans les milieux militants. Donc je suis très heureux d’avoir participé à sa « popularisation ». On ne réalise pas à quel point ce mécanisme est prégnant. A cet égard, Aya Nakamura a en effet subi une double discrimination d’une violence folle.

On pointe moins souvent le fait qu’Aya Nakamura est aussi devenue une icône gay…

Tout à fait. Quand quelqu’un comme Bilal Hassani a subi une vague de haine homophobe, elle n’a jamais hésité à lui montrer son soutien, notamment sur les réseaux. Pour le coup, elle a pris position. Si vous regardez une vidéo comme Pookie, elle reprend plein de codes du ballroom et invite des stars du vogueing. Je n’ai pas vu beaucoup de presse parler de ça.

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