Aurélien Bellanger s’essaie à la satire: “Une partie du PS français à lentement, sous couvert de laïcité, mené le parti à sa perte”

Les Derniers Jours du Parti socialiste d’Aurélien Bellanger a beaucoup fait parler, surtout parmi les personnages dépeints et moqués dans le livre. Preuve que l’auteur a sûrement visé juste avec cette satire clairvoyante. 

Avant même sa sortie, Les Derniers Jours du Parti socialiste a généré quelques réactions outrées dans les médias de certains de ses personnages principaux. « Ça faisait partie du jeu. Parce que ce sont des créatures sans œuvre, essentiellement médiatiques », nous dira Aurélien Bellanger. Car derrière les Taillevent et Frayère du livre, le philosophe des villes et celui des champs, se cacheraient Raphaël Enthoven et Michel Onfray. Ces deux-là, guidés par un certain Grémond, penseur de l’ombre du Parti socialiste français, vont créer le Mouvement du 9 décembre. Laurent Bouvet serait Grémond, et cet obscur groupuscule, le Printemps Républicain.

Bellanger, grand admirateur de Balzac, poursuit sa Comédie humaine avec cette satire passionnante. Il y conte comment une partie du PS français a lentement, sous couvert de laïcité, mené le parti à sa perte en faisant siens des concepts d’extrême droite. Le roman, comme toujours chez Bellanger, étourdissant d’érudition, captive en imaginant les vies de ce Grémont, « liquidateur » du parti, de ces deux philosophes présomptueux, ou du couple Macron. Il pousse le vice à s’y mettre en scène en romancier dont le narrateur se demande s’il est de droite… Intarrissable, Aurélien Bellanger a bien voulu revenir sur son livre, sur les origines du mal, et sur son statut d’auteur, osons le dire, engagé. 

Vous avez dit avoir écrit ce livre « comme un gros tweet de réponse au Printemps Républicain et aux philosophes qui l’accompagnent ». Mais il y a aussi de l’humour dans le livre, notamment quand vous décrivez les vies des deux philosophes, ou avec votre alter ego Sauveterre. Avez-vous pris du plaisir à l’écrire malgré la rage initiale?

Oh oui bien sûr! Je n’ai jamais rien écrit, ou très mal, si je n’en avais pas envie. Je voulais m’essayer au genre satirique -y compris avec moi-même. Un journaliste avec qui nous partageons les mêmes animosités m’a dit récemment que ce qu’on avait oublié de dire, et que j’avais hélas oublié de souligner moi-même, c’est que c’était avant tout un roman. Spécialement quand je m’attaque aux vie parallèles imaginaires de mes deux philosophes.

Dès le départ, vous présentez Grémont comme quelqu’un qui s’intéresse à Maurras, écrivain et politicien français d’extrême droite, alors qu’il est de gauche. Est-ce que, pour vous, le ver était dans le fruit dès le départ?

On va poser la question plus générale: est-ce qu’il n’y a pas une partie du socialisme qui n’est pas déjà véreuse? Si on fouille un petit peu, l’Histoire coloniale française a plutôt été écrite par des figures dites de l’universalisme de gauche, par Jules Ferry. Donc, ce n’est pas une position totalement aberrante non plus. C’est une hérésie du PS. Je pense que la gauche, à partir du moment où elle s’est coupée de son logiciel utopique révolutionnaire, où elle a dit que Mai 68 était un truc horrible, toute cette partie de la gauche est entrée dans une sorte de déviance.

Dans le livre, on ne sait pas toujours dans quel camp se situe votre narrateur. Cela apporte d’ailleurs un trouble plaisant à la lecture. Vous vouliez perturber le lecteur? Le forcer à réfléchir?

Le narrateur évolue peut-être sur ces questions délicates. J’ai essayé dans un premier temps de ne pas le rendre transparent par rapport à moi-même, qu’on ne sente pas son animosité envers le Mouvement du 9 décembre avant le milieu du livre. Mais en attribuant au dit mouvement, quand bien même il aurait souligné la médiocrité de ses membres, un rôle politique décisif, ne fait-il pas leur jeu? On a d’ailleurs pu me le reprocher à moi, en tant que romancier. J’aurais fait un livre « à thèse » en adoptant, même pour l’attaquer, la même vision du monde frelatée que mes adversaires. Et si, plus profondément, c’était ainsi que fonctionnait l’art romanesque: dialectiquement, par adhésion /répulsion?

Finalement, le Parti socialiste français ne s’en est pas si mal sorti aux dernières élections, il renaît quelque peu…

C’est compliqué. Le Parti socialiste, objectivement, renaît parce qu’il s’est agrafé à La France Insoumise, qui est un peu la force hégémonique de la gauche. Le Parti socialiste n’est pas totalement dans les choux, mais je pense que LFI est encore en position de recruter les jeunes des classes populaires. Au-delà de tous les procès en clientèle qui lui sont faits, ils savent encore le faire. Le PS ne sait plus le faire. Le PS n’est pas totalement mort, mais en fait, je pense que LFI est le PS d’aujourd’hui.

Vous parlez aussi des philosophes rattachés à ce qu’on appelle la crise de la modernité, comme Michel Foucault et Gilles Deleuze, et que Grémont, comme Frayère et Taillevent, semblent rejeter…

La grande geste philosophique jusqu’aux années 80, c’était de déconstruire l’Occident. Et à raison, parce que l’Occident avait apporté le malheur sur Terre, les empires coloniaux, la crise écologique, etc. Et arrive ce philosophe très médiocre, Pascal Bruckner, associé à Alain Finkielkraut déjà. Il écrit Le Sanglot de l’homme blanc: « Arrêtons la repentance, tout n’est pas notre faute, etc. » Et puis on finit par dire: « L’Occident a quand même fait des grandes choses. » Et puis on passe très lentement d’une critique de la déconstruction à une sorte de suprématisme: « Oui, mais le Mozart africain n’existe pas. » Ce sont des éléments de langage qui viennent de l’extrême droite. Ma théorie, c’est que, grosso modo, le Printemps Républicain et tous ces gens sont des racistes très forts, mais qui s’ignorent et qui sont assez intelligents pour dissimuler aux autres et à eux-mêmes leur propre racisme. Donc, l’héritage des Foucault ou Deleuze, aujourd’hui, s’est plutôt transvasé vers la sociologie. Et donc, il y a une haine profonde de la sociologie chez ces fervents défenseurs de la supériorité de l’Occident.

Est-ce que vous pensez qu’en tant qu’écrivain, vous vous devez de prendre la parole dans ces moments-là?

Je pense que c’est bien qu’on dise les choses et qu’on ne se laisse plus polluer la tête par des intellectuels qui sont secrètement d’extrême droite. Et qu’on arrête de vivre sous la tyrannie intellectuelle. J’étais agacé par mes collègues romanciers qui étaient dans une sorte de posture de dire que « les choses sont compliquées, c’est beaucoup plus nuancé qu’on pense ». Là, il ne me semble pas que les choses étaient très nuancées sur ces questions. Donc, c’était important de ne pas jouer la posture. Disons qu’il y a des temps où la position la plus juste est d’être sceptique. Il y a des temps où ne pas s’engager, c’est être un salaud.

Vous parlez aussi beaucoup de votre engagement plus ou moins récent, de votre participation à des manifestations, et vous dites que c’est le livre dans lequel vous avez le plus pris position. Quid du prochain?

Le prochain sera plus calme, plus calme et plus fou. Il se peut d’ailleurs que c’est ainsi, comme dans mon livre précédent, sur Walter Benjamin (Le Vingtième Siècle), que je me révèle politiquement le plus…

Les Derniers Jours du Parti socialiste****, d’Aurélien Bellanger, éditions du Seuil, 480 pages.

 

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