Dans son troisième roman, Aurélien Bellanger compulse Wikipédia et brigue -avec bling-bling mais sans génie- la place de l’important Houellebecq.
Son lointain ancêtre a conçu le réseau des égouts de Paris et son grand-père a dessiné Roissy. Enfant des Hauts-de-Seine triomphants, Alexandre Belgrand intègre l’ESSEC, où il se destine à perpétuer la domination occidentale. Devenu son conseiller occulte, l’un de ses professeurs l’initie à l’Histoire secrète de la capitale, avant de le faire entrer au service de l’homme fort de la droite, en passe de remporter la présidentielle. Alexandre intègre le noyau dur de l’équipe de campagne du « Prince », celui dont il savoure « les outrances verbales dignes des meilleurs concerts de hip-hop. (…) l’intensité verbale hasardeuse et brutale du candidat déchaîné ». Au soir du 6 mai 2007, Alexandre est au Fouquet’s, dans le tout premier cercle du Prince. Il a son oreille. Dans un monde entièrement passé à la feuille d’or, il campe l’individu libéral parfait. Alexandre rêve alors de changer d’échelle, de réconcilier Paris et sa banlieue, passer du Paris historique au Grand Paris de l’avenir. Sa disgrâce, imprévue et brutale, le conduira jusqu’à l’Est maudit, ce 93, Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France qui lui a toujours inspiré de la crainte.
Manipulation médiatique
La Théorie de l’information, premier roman d’Aurélien Bellanger, croquait avec un appétit de jeune loup, un charme maladroit et épatant, la France post-Minitel. Dans sa chair comme sa manière, le roman français s’y révélait marqué par Internet -et l’auteur, bon joueur, d’avouer se raccrocher aux branches Wikipédia pour étoffer son oeuvre. Pour le reste, Bellanger sera Houellebecq-like sinon rien. Un Houellebecq qui aurait la main lourde, un Michel pataud sur le style, qui aurait égaré sa vista, cette langue blanche reconnaissable entre toutes, troquée pour un ready-made d’intentions copiées-collées à l’envi. En cela, Bellanger incarne une singulière manifestation du mème, cet élément culturel reconnaissable, répliqué et transmis par l’imitation du comportement d’un individu par d’autres.
On fait le pari que, dans les prochains jours, la France des médias va venir chercher la becquée chez Bellanger en picorant « les bonnes feuilles » de son livre. Instrumentalisation du voile, affaire de l’EPAD, des dizaines de pages sur Sarko, le déclin occidental…: pour les futurs plateaux télé, ce n’est plus du pain béni, c’est double ration de frites! Sans compter les passages où son intuition fait mouche: le décryptage des méthodes du baby-boomer alpha Ardisson, en pleine polémique autour de l’invitation de Farid Benyettou (mentor des frères Kouachi), procure une saisissante coïncidence. Le lecteur plus téméraire s’aventurant lui à une digestion complète de l’ouvrage devra idéalement nourrir un appétit gargantuesque pour la physique des forts, la crise de l’obus-torpille, l’intrication quantique… Bellanger gagnerait sans doute à lever le nez de l’ordinateur et dégraisser le mammouth: on (re)découvrirait alors peut-être davantage l’écrivain. Pour l’heure, c’est loin d’être mal fichu, c’est juste dépourvu de la poésie et, subséquemment, de la force dérangeante de son modèle. On citera l’auteur: « un exercice de manipulation médiatique un peu convenu, mais bien maîtrisé. »
D’AURÉLIEN BELLANGER, EDITIONS GALLIMARD, 480 PAGES. ***
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