Edouard Louis, Seuil
L'Effondrement
240 pages
Dans une enquête intime à la beauté féroce, Edouard Louis cherche à comprendre la mort prématurée de son frère alcoolique, et les raisons du gouffre qui les séparait.
Edouard Louis pensait avoir réglé ses comptes avec sa famille. Après le procès à charge (En finir avec Eddy Bellegueule), où il racontait son enfance dans l’enfer du nord et sa fuite à Paris, il avait repris les éléments du dossier pour les instruire cette fois à décharge, à la lueur de la sociologie en général et des théories de Bourdieu en particulier. C’est ainsi que le père d’abord (Qui a tué mon père), la mère ensuite (Monique s’évade) furent réhabilités au nom d’un déterminisme social qui écrase les classes populaires. La violence de son milieu d’origine, et ses manifestations toxiques comme l’homophobie ou le masculinisme, découlant en grande partie de la violence politique exercée par les élites.
La mort prématurée de son demi-frère, à seulement 38 ans, retrouvé « effondré sur le sol de son appartement (…) comme un animal à l’agonie, comme une bête », a incité Edouard Louis, le nouveau roi de l’autofiction à rajouter un ultime chapitre à cette odyssée familiale. Moins par affection pour cet aîné homophobe, violent et alcoolique qu’il ne voyait plus depuis une décennie que pour comprendre le fossé abyssal les séparant. « Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir », avoue-t-il d’emblée. De là démarre une enquête nourrie des témoignages des femmes qui ont croisé la route de ce grand brûlé de l’existence. Avec pour boussole les faits saillants qui éclairent un caractère torturé et insaisissable. Son frère est une énigme. « Il n’a jamais su rêver que de gloire, et je crois que c’est la dimension de ses rêves, et le désajustement entre leur dimension et toutes les impossibilités qui ont formé sa vie, la misère, la pauvreté, le nord de la France, son destin, je crois que ce sont toutes ces contradictions qui l’ont rendu si malheureux », constate-t-il en fouillant dans sa mémoire pour le « Fait numéro 1″. Ce dispositif pointilleux, s’il permet de mettre au jour la cruauté gratuite du frère -il invite son cadet à loger dans son studio insalubre la veille d’un examen important du bac, et fait tout pour l’empêcher de dormir- ou ses débâcles professionnelles et sentimentales successives, échoue cependant à expliquer « l’effondrement » d’une personnalité poreuse au malheur et à l’autodestruction. Pourquoi n’arrive-t-il pas à saisir la chance quand elle se présente? Pourquoi sabote-t-il systématiquement ses relations avec des femmes follement amoureuses de lui?
Freud à la rescousse
Pour sortir de l’impasse d’une grille de lecture sociologique un peu trop rigide, Edouard Louis va aller chercher des outils du côté de la psychanalyse et même de la psychiatrie. Un appel d’air théorique bienvenu qui lui permet d’identifier la blessure psychique qu’il porte depuis que ses parents se sont séparés. Entre un père qui l’a renié et une mère (la même que l’auteur) qui se range systématiquement à l’avis d’un beau-père rigide, le jeune homme n’a jamais trouvé sa place dans sa famille et dans le monde. Un manque d’amour qui a nourri sa dépression. Toutes ses fugues et ses excès sont des tentatives pour conjurer ce trauma originel. Le contexte social a fait le reste pour « l’achever ». On ne se réconcilie pas avec les morts, mais au moins Edouard Louis, en prenant le temps de faire enfin connaissance et en prêtant sa plume élégante à sa colère et à ses questionnements, a-t-il découvert le chemin du pardon. Et rendu un peu de dignité à cet écorché qui, faute de mieux, faute de soutien approprié, a noyé ses rêves dans l’alcool.
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