Adeline Dieudonné, le labyrinthe des passions
Premier roman haletant de la Bruxelloise Adeline Dieudonné, La Vraie Vie arpente le labyrinthe de l’adolescence, palais des glaces sensuel et acide où palpite l’inconnu.
Constituant pour beaucoup une soudaine incursion dans l’espace public, la ronde des premiers romans ressemble parfois au bal des débutantes. Si, à quelques heures de la parution de La Vraie Vie, Adeline Dieudonné a parfois l’impression de jouer un rôle, celui de l’auteure en promo, celui-ci lui va comme une pantoufle de verre. Son premier roman, bel ouvrage d’initiation mâtiné de fantastique, nous a fait forte impression. Débutée sur les chapeaux de roue, sa carrière d’écrivaine appelle un bref saut dans le passé, lorsque la Bruxelloise commence à écrire « un peu par hasard il y a deux ans »… Accaparée par « la vraie vie » (celle qui s’écrit aussi en minuscules, dans les pointillés), la jeune femme oscille alors entre vie de famille et travail alimentaire, non sans constater que les rouages se grippent. « J’ai commencé à écrire parce que j’étais perdue. J’avais lâché mon boulot dans un bureau d’architecture parce que je ne trouvais aucun sens à ce que je faisais. Entre les attentats et la crise migratoire, tout à coup, je ne comprenais plus le monde dans lequel je vivais. J’avais envie d’en parler mais je ne savais pas comment. » En deux ans à peine, sur les conseils d’un ami, la comédienne de formation écrit et interprète un seul-en-scène (Bonobo Moussaka) où elle dépiaute un certain nombre des indignations qui lui sont chevillées au corps. Dans le même temps, elle publie deux nouvelles, dont la première, Amarula, remportera le Grand prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Casque sur les oreilles et du métal plein la tête, Adeline se lance alors dans la confection du premier roman. « J’ai besoin d’une musique énergique, qui sort des tripes, quelque chose d’extrêmement viscéral. Il y a une vraie violence dans mon écriture. » Éditeur bruxellois de ses premiers pas, Eric Lamiroy l’encourage élégamment à regarder du côté de la France: « Ma chérie, tu es gentille mais je t’ai assez vue ici… » Même son de cloche, et même conseil, chez une amie attachée de presse. La jeune femme ne connaît pas bien le monde de l’édition; c’est finalement chez L’Iconoclaste que son « petit bolide » (dixit son éditrice) trouvera écurie à son pied (au plancher).
Chéri, j’ai agrandi les gosses!
Le réel, c’est pas pour les mauviettes! Dans La Vraie Vie, les maisons de lotissement se ressemblent toutes et une violence sourde rôde. Dans la cave de l’une d’elles, des cadavres d’animaux. Le père, chasseur de gros gibier, a deux autres trophées dans la vie: la télé et le whisky. Posée là comme un vase, la mère ne semble gênée ni par le vide, ni par le manque d’amour. Entre smoutebollen et parties de cache-cache, Gilles, six ans, et la narratrice, dix ans, fuient les repas familiaux vécus comme des punitions. Jusqu’au jour où un accident vient enrayer le présent… Dès lors, Gilles se renferme, sombre peu à peu dans les ténèbres où sa soeur aura à coeur de ne pas perdre définitivement sa trace, lui rendre le sourire, quitte à créer une machine à remonter le temps comme dans Retour vers le futur. « (…) Et chaque soir, je me suis répété que ce n’était pas grave, que j’étais juste dans la branche ratée de ma vie et que tout ça était destiné à être réécrit. » En s’accrochant aux racines, on descend jusqu’au labyrinthe de l’adolescence, un peu comme les jeunes de Stranger Things vont regarder de l’autre côté du miroir: un voyage tour à tour sensuel et acide où, ballotté entre l’éveil à la volupté et scènes de violence conjugale, palpite l’inconnu. « Dans le livre, il est beaucoup question de la violence conjugale, de la violence des hommes envers les femmes, envers les enfants, les animaux… C’est quelque chose que je n’ai absolument pas prémédité. Je ne serai jamais au bout des sujets qui m’indignent, me désespèrent et à propos desquels j’ai vraiment envie de voir les choses bouger. » Face au grand ordre naturel des choses, où chaque organisme lutte pour sa survie, son attachante héroïne serre les poings pour rester vivante. La Vraie Vie, thriller métaphysique grattant la surface des choses, creuse un trou de ver vers l’enfance, avec une touche de fantastique subtilement dosée. On ne s’appesantit pas sur l’inexplicable, pas plus qu’on n’assène un twist final: libre au lecteur de relever les indices disséminés. Ce qui n’exclut pas un récit porté par une certaine incandescence et une pincée de Stephen King pour l’efficacité. « Je ne la maîtrise pas », tempère Dieudonné. « Je partage la naïveté de mon personnage d’imaginer qu’on peut changer le réel grâce à la science, que peut-être la télépathie, la télékinésie ou le fait de se téléporter seront possibles un jour. Aujourd’hui, on en est à un stade de progrès et de découverte qui ne nous permet pas encore de voyager dans le temps… Mais il n’y a rien de fantastique là-dedans, c’est plutôt s’approprier le surnaturel en disant: si je vais suffisamment loin dans le scientifique, je vais pouvoir le rendre réel. » Outre l’écriture d’un deuxième spectacle, Adeline Dieudonné planche déjà sur le prochain roman: « C’est intimidant: autant le premier je l’ai écrit d’une façon très instinctive, autant là, je prépare plus et découvre une façon de travailler. Pour La Vraie Vie , je suis partie bille en tête. J’avoue que parfois, en cours d’écriture, ça a été difficile, comme si j’étais partie pour escalader un sommet mal équipée. Là, je me suis dit que ce serait peut-être pas mal d’investir dans une pioche et des crampons. » Ses lecteurs, premiers de cordée, seront bien inspirés de suivre son ascension. Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui ne serait-on guère surpris de voir adaptée rapidement sur grand écran?
La Vraie Vie, d’Adeline Dieudonné, Éditions L’Iconoclaste, 272 pages. ****
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici